Plan de Deir el Medineh
Présentation du Village
Organisation du Village
Autour du Village
Les Serviteurs de la Tombe
Personnages pittoresques

Album I Deir el-Medineh
Album II Deir el-Medineh
Album III Deir el-Medineh
L'INSTITUTION DE LA TOMBE
Malgré l’apparent isolement de sa situation, niché entre deux montagnes, le petit Village de Deir el-Medineh est placé sous étroite surveillance. Il est l’élément essentiel d’une Institution appelée la Tombe (La Grande et Auguste Tombe de millions d’années de Pharaon, vie, santé, force, à l’Occident de Thèbes).
Aux premiers temps du Village, sous la dynastie XVIII, pa demi était supervisé par les bureaux du maire de Thèbes. Une lente mais rigoureuse organisation fut mise en place sous Horemheb, après l’épisode amarnien et, à l’aube de la dynastie XX, le Village est sous le contrôle du Vizir de Haute-Egypte. Les équipes d’ouvriers et d’artisans sont placées directement sous ses ordres, la tâche qui leur a été confiée, à lui et aux hommes du Village est essentielle, eux seuls ont reçu l’honneur et le privilège de creuser le tombeau royal, la dernière demeure d’éternité de Pharaon. Rien n’échappe à la surveillance du Vizir, il ordonne, il supervise, il décide de la diminution ou de l’augmentation des effectifs, il contrôle et vérifie, il est responsable non seulement du bon avancement des travaux de l’hypogée royal mais il veille aussi sur les conditions de travail de ces ouvriers privilégiés, il s’assure de leur confort et veille à ce qu’ils ne manquent de rien, tant sur les chantiers que dans leur quotidien. L’Institution de la Tombe est relativement autonome et forme un département indépendant des autres. Un univers relativement clos donc, ne pénètre pas qui veut dans ce monde protégé par une ceinture policière très efficace, et pourtant, quelle organisation !
L'Equipe de la Tombe
Ces ouvriers, ces artisans sont appelés Serviteurs de la Place de Vérité ou moins communément Ceux qui entendent l’appel au siège la Maât. N’oublions pas que la Maât est le symbole de la Vérité, de la Justice, de la Rectitude en toute chose, les ouvriers sont donc au service de cette Maât incontournable, ils en perpétuent l’existence en creusant la tombe de Pharaon, lieu privilégié de régénération. Le siège de la Maât peut être entendu comme ce lieu incroyable, sacré entre tous, qui abrite la tombe du roi. Ces hommes forment une grande équipe oscillant entre 40 et 60 ouvriers avec une pointe sous le règne de Ramsès IV à 120 hommes. Le début du règne de Ramsès II employa 48 hommes, en fin de règne on tombe à 32 ouvriers. De même sous Ramsès III, on évalue à une centaine d’hommes les ouvriers présents sur le chantier. Cette variabilité s’explique par le fait évident que les effectifs sont renforcés en début de règne, pour préparer au mieux la tombe, effectifs diminués quand celle-ci est presque achevée. D’autre part, en fonction de l’importance de la tombe commandée par Pharaon les effectifs peuvent aussi être largement augmentés ou diminués.
De tout temps, les Egyptiens ont aimé utiliser un vocabulaire "nautique" pour exprimer leur quotidien ou leur vision du monde. Les ouvriers du Village n’ont pas échappé à la règle, ils sont les membres d’un équipage divisé en deux comme les rameurs officiant des deux côtés d'un navire : il y a l’équipage de Droite et l’équipage de Gauche, chacune de ces équipes étant dirigée par un contremaître ou Capitaine parfois assisté par un Lieutenant appelé idenou, bien souvent un des fils de ces mêmes contremaîtres.
Chaque chef d’équipe est nommé par le vizir en personne en qui Pharaon a délégué ses pouvoirs mais la charge deviendra vite héréditaire sous les Ramsès. Deux chefs d’équipe, deux personnalités souvent différentes, deux caractères parfois opposés, deux affrontements inévitables comme nous le verrons plus loin, les relations sont parfois tendues, les rivalités latentes, la corruption guette, nous le constaterons aussi.

Deux chefs d’équipe donc, en charge de commander chacun le côté qu’il a sous ses ordres.
Et un scribe commun, le Scribe de la Tombe, tout du moins pour la dynastie XIX, la dynastie XX ayant connu quant à elle deux scribes distincts, un pour chaque côté de la Tombe. Ce scribe est chargé de tenir à jour les moindres faits et gestes liés au creusement de la Tombe, de noter l’avancée des travaux, le travail accompli jour après jour et, annotations très souvent pittoresques et surprenantes, les absences des ouvriers accompagnées de leur motifs. Ils enregistrent aussi les salaires des ouvriers, comptabilisent avec beaucoup de rigueur et de précision les outils utilisés. Tout est soigneusement noté en écriture hiératique sur des ostraca puis sur des papyrus, malheureusement disparus de nos jours, seuls nous restent les fragments de poterie. Ces documents font partie d'un ensemble que l'on appelle les Archives de la Tombe, documents se présentant sous la forme d'un antique recensement des ouvriers et de leurs familles vivant à pa demi. Rien n'est laissé au hasard, les membres de chaque maisonnée sont soigneusement énumérés, les évènements les touchant sont précisés. Mode de vie, actualité, organisation du travail, ces documents soigneusement archivés par des scribes consciencieux représentent une masse de renseignements impressionnante.
Un autre document, le Journal de la Tombe, comme son nom l'indique, tient quoitidiennement le relevé des faits survenus dans la nécropole, du simple congé accordé à un artisan à la visite sur le site d'un haut fonctionnaire en passant par les livraisons habituelles de denrées alimentaires ou de matériels. Ce Journal qui est en fait une véritable chronique du Village rapporte, notamment à partir de la dynastie XX des faits hautement importants : manifestations des ouvriers mécontents qui se regroupent et se couchent près des temples (Ramesseum ou Medinet-Habou) de la rive Ouest afin de laisser éclater leur colère, enquêtes concernant les pillages des temples et des tombes qui deviennent de plus en plus fréquents à partir de Ramsès III, invasions des Peuples de la Mer.
Esprits tâtillons qui gardent tout, ne jettent rien et archivent le moindre détail de leur existence, la manie des Egyptiens et notamment celle des scribes de Deir el-Medineh est une aubaine pour les égyptologues qui découvrent avec un plaisir évident ces témoignages capitaux et captivants, ô combien émouvants du quotidien de l'antique Egypte.
Mais le rôle du scribe ne s’arrête pas à ce patient travail administratif, il fait aussi office d’écrivain public, il rédige des lettres et des documents pour les artisans et leurs familles, établit des rapports ou des actes juridiques. Car, en effet, il est l’un des principaux acteurs du tribunal local, la qenbet au sein duquel, assisté par les deux chefs d’équipe, il tente de régler les conflits entre citoyens du Village.
Les deux chefs d’équipe, le ou les scribes sont des personnages extrêmement influents, les plus gradés en quelque sorte de la petite communauté, ils sont le lien physique entre la confrérie et le Vizir. La nature humaine étant ce qu’elle est et ce à toutes les époques de l’Histoire du monde, malversations, abus et corruptions n’ont pas fait défaut au cœur du petit Village parmi ces "hauts" personnages qui profitent de leur position pour contraindre leurs ouvriers à des travaux personnels ou de leur autorité pour se livrer à des chantages et des abus, voire même des corruptions. Voir Personnages pittoresques
Chaque contremaître peut être assisté par un lieutenant, souvent choisi dans sa propre famille, un fils par exemple, sans que cela soit pour autant une règle bien établie, et il peut se révéler être le successeur du contremaître dans quelque cas. Mais l’on suppose que ce titre doit être purement honorifique dans la mesure où leurs salaires ne sont pas différents de ceux des autres ouvriers.
Les hommes qui constituent chacune des deux équipes sont des carriers dont le pénible travail est de "casser" la montagne pour y creuser l’hypogée royal. Les autres ouvriers sont plus spécialisés mais leurs souffrances ne sont pas moindres, à œuvrer dans la torride chaleur des entrailles de la terre : ce sont les dessinateurs, les sculpteurs, les peintres mais aussi les maçons et les charpentiers qui chacun, par la connaissance parfaite de leur art, donnent vie à la future demeure d'éternité de Pharaon. Venez travailler avec eux ici.
A ces ouvriers et artisans, il faut adjoindre des hommes qui, si l’on devait les placer dans la hiérarchie communautaire se situeraient peut-être juste après les contremaîtres : ce sont les Gardiens de la Tombe. Ces hommes ont la délicate responsabilité de surveiller le bon déroulement des opérations qui ont lieu dans les magasins où l’on entrepose le matériel et les matériaux nécessaires au creusement de la Tombe. Ce sont eux qui, sous le regard aiguisé des contremaîtres et du scribe, délivrent aux ouvriers les outils qu’ils emmèneront avec eux et qu’il restitueront, une fois la journée terminée à ces mêmes gardiens.
Un autre poste tout aussi essentiel, est celui de Gardien de la porte de la Tombe, poste occupé par deux hommes ayant chacun un côté de la Tombe sous étroite surveillance, surveillance qu'il ne faut surtout pas relâcher afin que le lieu soit toujours sécurisé. Ces hommes ont aussi, mission ô combien déplaisante, la charge de collecter les dettes acquises par les membres de la confrérie afin de les porter devant le tribunal, la qenbet.
Un des aspects les plus curieux de cette organisation villageoise est la présence d’un groupe de femmes appelées femmes-esclaves mises à la disposition de la communauté par le gouvernement à des jours bien précis. La plupart du temps ce sont les maîtresses de maison qui font appel à ces aides ancillaires dont la charge est de soulager leur quotidien : payées à la journée et embauchées occasionnellement, elles préparent la nourriture, pétrissent le pain, parfois même elles emmènent le bétail paître dans les prés à l’extérieur du Village. Toutefois leur rôle exact reste encore bien mal défini, tout au plus sait-on d’après les ostraca retrouvés, que certains abus furent commis par des maîtresses de maison indélicates employant illégalement ces servantes pour leur bien-être personnel. Il n'est pas rare aussi pour les familles qui bénéficient de l'allocation de ces servantes de revendre cette part qui leur est dûe. Ainsi a -t-on retrouvé ce témoignage :
"Troisième mois de la saison d'été..., le jour où la maîtresse... a vendu son jour de servante à l'artisan Ani... Voici le décompte que l'artisan Ani lui a donné.."
La petite communauté bénéficie aussi des attentions d’un médecin qui a fort à faire avec cette clientèle un peu particulière : les accidents pour se rendre à l‘hypogée ne sont pas rares, le chemin est parsemé de petites embûches de toutes sortes : piqûres de serpents, de scorpions, chevilles foulées, doigts écrasés, blessures plus ou moins importantes en rapport avec le creusement de la tombe, bref il ne chôme pas. Réside aussi au Village une femme très appréciée et très écoutée, une femme sage, celle qui sait, sorte de magicienne et de guérisseuse dont le répertoire médical est très étendu. Elle a sa disposition une pharmacopée des plus édifiantes et ses services sont très recherchés notamment par les jeunes femmes souffrant de problèmes gynécologiques.


La semedet ou équipe extérieure
Pour soulager la communauté et faire en sorte qu’elle s’adonne l’esprit tranquille à sa noble tâche, l’administration centrale a mis en place les services d’une équipe extérieure à celle de la Tombe proprement dite, la Semedet, équipe dite de corvée qui réside à l’extérieur du Village et dont les attributions sont de rendre une assistance bien spécifique aux habitants du Village.
Pour l’essentiel, cette semedet approvisionne en tout ce qui est nécessaire à la vie normale d’une communauté dans la mesure où celle-ci vit pratiquement coupée du monde extérieur dans un lieu austère où rien ne pousse : pas de champs donc pas d’agriculture, pas d’eau donc pas de puits (un essai infructueux a bien été tenté mais en vain), la communauté a besoin de tout et elle dépend grandement de cette aide extérieure qui vient lui livrer à intervalles réguliers les denrées les plus variées. Parmi ces auxiliaires, on trouve des bûcherons qui apportent le bois qui servira de combustible et de chauffage, des jardiniers, des blanchisseurs qui entretiennent le linge de la confrérie, des potiers aussi, des tisserands, des pêcheurs ou des forgerons. D’autres apportent les vivres nécessaires (viande, poissons, légumes) et il ne faut pas oublier les fameux porteurs d’eau qui transportent quotidiennement le liquide indispensable à toute vie : et c’est le ballet incessant d’une troupe d’une centaine de petits ânes accompagnés d’une cinquantaine de porteurs d’eau qui viennent déverser dans des réservoirs, l’un au Nord, l’autre au Sud leur précieux chargement. Mais comme toute organisation, si huilée soit-elle, a ses propres faiblesses, il n’est pas rare que ces mêmes porteurs d’eau soient obligés de louer aux ouvriers de l’équipe les ânes qui leur font défaut ! Bien sûr, cet état de fait pose quelques petits soucis notamment lorsqu’il s’agit de régler la location de ces petites bêtes, règlements sources de litiges très fréquents.
Cette semedet peut aussi se rendre parfois fort utile lorsque la main d’œuvre vient à manquer sur le chantier royal et, exceptionnellement, le gouvernement n'hésite pas à faire appel à ces bras auxiliaires. Une fois par mois, un salaire en céréales octroyé par l'administration des temples est payé aux ouvriers, céréales qui leur permettent de fabriquer le pain et la bière, piliers de l’alimentation égyptienne. Ce sont ces salaires non versés qui provoquèrent la première grève de l’histoire sous le règne de Ramsès III, la première grève connue à ce jour.
Toutefois, hormis cet épisode malheureux, la vie économique du Village est parfaitement bien rôdée : le salaire est versé le 28 du mois et varie en fonction de la qualité de celui qui le reçoit. On estime qu’un contremaître peut toucher cinq sacs d’épeautre et deux d’orge tandis que les ouvriers reçoivent quatre sacs d’épeautre et un demi sac d’orge. Un scribe, tel que Ramose, peut toucher un salaire équivalent à celui d'un contremaître mais d'un tiers supérieur à celui d'un artisan. Tous les dix jours, la communauté reçoit du sel, de l’huile et des onguents. Les jours de fêtes, et ils sont nombreux, le gouvernement peut octroyer des primes complémentaires très appréciées surtout lorsqu’il s’agit de viande de bœuf. Ce même gouvernement pourvoit aussi la communauté en vêtements divers et en sandales mais il semble que les quantités ne soient jamais vraiment à la hauteur des aspirations des habitants de pa demi.
Toutes ces provisions acheminées au Village font l’objet d’un contrôle soutenu. Réceptionnées au poste de contrôle, elles sont distribuées par deux ouvriers, un pour chaque équipe et, bien sûr, un scribe s’applique à noter scrupuleusement tous les produits déposés puis distribués. Ainsi Ramose qui arrive à pa demi en l'an V du règne de Ramsès II, promu scribe dans le Lieu de Vérité, écrit avec soin :
"Les salaires de la nécropole ont été versés, absolument complets, sans aucun arriéré"
Une des rares denrées produites par la communauté elle-même est le miel issu des ruches que les villageois entretiennent à l'extérieur du Village.On peut citer aussi, faisant partie de cette équipe extérieure, les fameux medjayou, gendarmes des temps antiques, patrouilleurs des environs du Village et chargés de l’étroite surveillance des alentours du Grand Lieu. Ils préservent l’ordre sur la rive gauche du Nil et dissuadent quiconque de s’aventurer sans autorisation dans le Village ou sur le chemin de la tombe. Ils tiennent garnison dans la "forteresse" située à la frontière entre le Grand Lieu et la Vallée et, disséminés en des points stratégiques, les postes de garde qu'ils occupent sont d'excellents observatoires pour surveiller de façon panoramique tous les environs : ils dominent la Vallée qui s'étend à leur pied et l'écho renvoyé des conversations ou du moindre éboulis les alerte de manière sûre et rapide. D’ailleurs le chef de la police fait partie de la qenbet, le tribunal local chargé de régler les différends entre les villageois et, par la même occasion, les atteintes possibles à l’intégrité du village ou à l’hypogée royal.






Lentement, des perles de sueur glissent le long des tempes de Nakhtamon creusant des petits sillons
qui viennent mourir aux commissures de sa bouche abandonnant leur goût salé sur ses lèvres.
La chaleur de cette journée, l'émotion qui l'accompagne et la tension qui noue sa gorge ne font pas bon ménage.
Pourtant son regard ose croiser celui de Ramsès qui discerne bien les affres dans lesquelles se noie son petit récitant.
Pharaon lève la main. Aussitôt, le flabellifère qui agite au visage royal le large éventail de plumes d'autruche vient se placer aux côtés du jeune homme.
Nakhtamon est saisi, l'insigne honneur qui lui est rendu par ce geste le laisse coi et pantelant.
Dans la foule agglutinée, un murmure de surprise s'échappe de toutes les bouches. Nakhtamon est d'autant plus mal à l'aise qu'il en arrive au passage de son discours qu'il redoute le plus :
il doit révéler à Pharaon les mille et un petits travers de la petite communauté, les discordes qui se nouent, les disputes banales ou inattendues qui éclatent,
les vols graves ou mineurs qui alimentent la chronique judiciaire de pa demi.
Et Nakhtamon a un peu honte,
oui il a un peu honte de ses compatriotes surtout quand ceux-ci se montrent sous leur plus mauvais jour !
Le qenbet ou tribunal local
Nous l’avons bien compris au fil des mots qui relatent l’histoire de ce petit Village, les membres de la communauté vivent au cœur d’un univers clos, peut-être pas complètement replié sur lui-même mais, inévitablement, une telle concentration d’individus aux personnalités si différentes, vivant un quotidien collectif parfois étouffant connaît à un moment donné des tensions, des disputes, des conflits, voire des délits graves.
Pour régler ces différends et surtout pour garantir une existence harmonieuse à tous ses habitants, pa demi s’est doté de son propre tribunal, de sa propre cour de justice, la qenbet. Cette institution judiciaire est composée des personnalités éminentes de la confrérie : les contremaîtres et leurs adjoints, les indispensables scribes, le chef de la police et parfois viennent se joindre à eux des anciens. Généralement, elle siège au poste de contrôle et, aux alentours des chapelles du Village, on a retrouvé seize sièges gravés au nom de leurs propriétaires, probablement utilisés, entre autres activités, lors des procès. La qenbet se réunit en sessions durant les jours de repos et immanquablement quand survient un litige. Cette cour locale est habilitée à recevoir toutes les plaintes des habitants qu’il s’agisse de sombres affaires de vols, de non paiements de dettes, de problèmes de succession compliquée voire même d’affaires criminelles. Cependant, les litiges les plus graves sont portés devant une juridiction supérieure, celle du Vizir et la cour de justice de Thèbes prend alors en relais l’épineux dossier.
Quotidien et loisirs
Tous les aspects du quotidien du Village reposent presque entièrement sur les épaules des femmes. En effet, tandis que les époux ou les hommes célibataires sont occupés à creuser les tombes royales sur près de dix jours consécutifs, les épouses deviennent quant à elles les véritables "maîtresses" de maison et c’est à elles qu’incombent les charges domestiques, l'entretien de la demeure, l’éducation des enfants mais aussi le soin apporté aux anciens qui coulent une retraite bien méritée. Et si les filles secondent leur mère, leur vie de femme commence très tôt car dès leur mariage consommé, elles se retrouvent à leur tour mère et chargée de famille. Ces premiers moments de la vie familiale sont d’une extrême importance et absorbent toute l'énergie de la future maman. Pour preuve, cette première pièce de la maison que nous avons visitée avec Nakhtamon, pièce symbolique où doivent se dérouler les rituels de l’accouchement et de la naissance. Cette pièce est étroitement liée aux notions de sexualité et de naissance, le lit rituel et les images ainsi que les autels domestiques retrouvés lors des fouilles tendent à confirmer cette hypothèse. Le Village référence d'Amarna a lui aussi livré de tels témoignages, cela semble donc bien être une coutume courante.
De nombreux ostraca retrouvés sur le site mettent en images des femmes allaitant ou s’occupant de leur enfant. Il est évident que cette activité féminine occupe une bonne partie du temps de la mère, les femmes ayant généralement une nombreuse progéniture. Il n’est pas rare qu’un couple ait au moins sept enfants, voire dix dans les cas extrêmes (exemples de Baki, Neferenpet ou Kasa). Pourtant il n'est pas avéré que les maisons aient abrité autant d'enfants à la fois mais la mortalité infantile étant très importante, cette lignée doit s'étaler sur le temps, ponctuée de naissances et de décès, ce rythme créant un certain équilibre. D'autre part, il est d'usage de faire intégrer très tôt les enfants dans la vie active et de les faire rejoindre l'institution adéquate où ils feront leur apprentissage.
Même si ces épouses et ces mères sont ponctuellement aidées par les femmes-esclaves dont nous avons parlé un peu plus haut, leur tâche n’en est pas moins lourde ni contraignante. Des premiers instants de la naissance jusqu’aux premiers moments de sa vie d’adulte, l’enfant est considéré comme la victime potentielle de forces hostiles ou malfaisantes et toute l’énergie de la mère sera concentrée autour d’un rituel très élaboré, destiné à le protéger : amulettes, objets magiques, figurines, soins spéciaux, prières aux dieux Bès ou Taouret, formules magiques écrites ou parlées, toute méthode est bonne pour éloigner les mauvais esprits. D’ailleurs, l’enfant est d’une grande reconnaissance envers sa mère et, la vieillesse venue, il sera attentif à son bien-être et, à son tour, la placera sous sa protection :
"Fais pour elle le double de ce qu’elle a fait pour toi, soutiens la comme elle t’a soutenu, tu étais pour elle comme un second fardeau mais elle ne s’en est jamais déchargée..."
Survivre aux premiers temps de la petite enfance est un combat de chaque jour pour les parents mais ponctué pour l’enfant d’activités de son âge : jeux de balle, musique, petites poupées, jouets en bois (figurines de chevaux), toupies ou jeux partagés avec les animaux domestiques. Une fois passée cette période enfantine relativement courte, une fois l’adolescence atteinte, les jeunes garçons ou les jeunes filles s’engagent rapidement dans leur vie d’adulte.
A quoi peut bien prétendre un jeune garçon à pa demi ? Son destin est tout tracé, généralement il suit les traces de son père et reprend la profession de celui-ci. C’est ainsi que bon nombre de métiers se sont perpétués, les garçons apprenant peu à peu aux côtés de leur géniteur les rudiments de leur futur savoir-faire.
Les plus chanceux d’entre eux peuvent avoir accès à l’instruction, le Village étant, de tous les villages égyptiens, le mieux placé pour leur offrir une telle opportunité. On estime en effet que près de 40% des jeunes enfants sont alphabétisés, chiffre qui semble encore exceptionnel pour l’époque. Cependant le système scolaire reste relativement mal connu, les fouilles n’ayant pas encore relevé d’emplacement exact consacré à cette activité, tout au plus peut-on supposer que l’apprentisage se déroule, entre autres lieux, au Ramesseum. Voir Autres temps autres mœurs. A pa demi, les scribes ne sont pas les seuls détenteurs de l’écriture et bon nombre d’ouvriers sont capables de déchiffrer le hiératique parfois même les hiéroglyphes. Les postes de scribes et de dessinateurs étant acquis par le principe de l'hérédité à certaines familles, un père n’a souvent pas d’autre choix que celui de faire quitter la confrérie à son fils si celui-ci veut s’engager sur les chemins du savoir : ainsi rencontrons-nous le cas du fils de Neferhotep l’Ancien qui abandonna pa demi pour devenir scribe dans l’armée.
Tous les enfants n'intègrent pas forcément l'Equipe de la tombe et il n'est pas rare de voir certains d'entre eux partir travailler dans d'autres fondations royales de la Vallée thébaine. Et selon le principe des vases communicants, il n'est pas rare, non plus, de voir certains artisans ayant servi dans d'autres institutions rejoindre celle de la Tombe.
Quant aux filles, leur intérêt est plutôt porté sur la vie domestique et l’aide apportée à la mère. De nombreuses tombes thébaines se font l’écho de leurs activités mais il faut se montrer prudent dans l'interprétation de ces données iconographiques qui ne rendent pas forcément compte de la réalité. Il est clair que le destin des jeunes filles égyptiennes est nettement moins marqué que celui des jeunes hommes. Promises très tôt au mariage, vers l'âge de douze ou treize ans alors que les garçons peuvent attendre leurs vingt printemps, elles s'engagent rapidement et sans surprise sur une voie toute tracée. Et si elles n’ont pas le privilège d’être instruites au même titre que leurs frères, quelques ostraca ont révélé qu’elles étaient capables d’écrire ou de lire certains signes.
Pendant leurs moments de liberté, nous verrons que les hommes se consacrent à des loisirs utiles et essentiels comme celui de la construction de leur propre tombe. Cependant, en dehors de ces activités constructrices pour les hommes et en dehors des activités domestiques pour les femmes, de grandes plages de liberté leur sont accordées notamment durant les périodes de fêtes, périodes qui ont tendance à devenir de plus en plus nombreuses. A l’époque de sa pleine apogée, on estime que les festivités propres au Village occupent plus d’un tiers du temps dans l’année soit, sans exagérer, près de soixante jours fériés ! Auxquels il convient de rajouter les réjouissances tant religieuses que civiles dont bénéficie le citoyen égyptien normal soit près d’une soixantaine de jours supplémentaires ! Les fêtes religieuses prennent évidemment la première place parmi lesquelles la Belle Fête d’Opet puis huit mois plus tard la Grande Fête de la Vallée.
Outre ces fêtes "nationales", de multiples festivités privées occupent les journées des ouvriers de Deir-el-Medineh. Encore une fois, les ostraca retrouvés mentionnent et enregistrent les absences répétées de tel ou tel artisan trop occupé à préparer une fête personnelle pour se rendre sur le chantier du Grand Champ. L’un doit brasser la bière qui enivrera ses convives, l’autre doit organiser les noces de sa fille, les motifs ne manquent pas et sont tous recevables !
Mais il faut aussi signaler les jours chômés en raison de l’arrivée des statues divines destinées à protéger Pharaon dans sa tombe, puis ceux consacrés au culte des défunts que l’on va visiter, à qui l’on apporte offrandes et nourriture afin que l’harmonie entre les morts et les vivants soit préservée.
Puis il y a les fameuses fêtes en l’honneur d’Osiris, le saint patron d’Abydos. A cette occasion, et comme il n’est pas offert à tous d’effectuer un pèlerinage vers ce lieu sacré, un rituel extrêmement bien orchestré a lieu dans les chapelles funéraires : des petites barques dont la proue pointe vers le Nord, vers la ville sainte sont déposées au cœur du sanctuaire, manière symbolique de participer aux manifestations rendues sur place par les prêtres d’Osiris. Le pèlerinage achevé, les barques sont alors tournées dans l’autre sens, elles retournent vers le Sud et rejoignent leur demeures.
Peut-on aussi évoquer la fête de Sokar-Osiris qui offre encore une journée de congé aux artisans. Cette fête se déroule la nuit, les joyeux fêtards se promènent en chantant dans la nécropole apportant aux défunts les offrandes dont ils sont chargés. Cette fête est bien représentée dans quelques tombes, notamment celle d'Inherkhaou.
Toutes ces réjouissances sont accompagnées de festins, le vin et la bière coulent à flots, sistres et tambourins résonnent jusque tard dans la nuit occidentale, c’est l’occasion pour tous d’améliorer quelque peu l’ordinaire et d’assister à la distribution de denrées spéciales et inhabituelles. Ainsi durant la huitième année du règne de Merenptah, Pharaon, satisfait de l’avancement des travaux de son hypogée, accorde aux artisans des rations extraordinaires qui se cumulent à celles octroyées pour la Belle Fête d’Opet : bœuf, poisson (près de neuf mille pièces), sel, huiles et légumes, rien ne manqua en ces jours exceptionnels et bienvenus.
Il va sans dire que copieusement arrosés, entraînés sur les pentes de l’ivresse qui mène aux dieux, villageois et villageoises, vêtus de leurs plus beaux et plus légers atours, habilement maquillés, se laissent aller à quelques débordements induits par les beuveries inévitables. Issu de Deir el-Medineh, le fameux payrus érotique de Turin, aux dessins si évocateurs et sans équivoque, aborde avec humour une fête qui dégénère en orgie.
Toutefois, il ne faudrait pas résumer les loisrs des habitants de pa demi à ces seuls plaisirs coquins. Plus calmement, se consacrent-ils à des joies simples : exercice de la musique au moyen de harpes, de lyres, de luths retrouvés en grand nombre dans le cimetière de l’Est, pratique de la danse, des jeux de société dont le plus connu et le plus célèbre est le jeu du senet, sorte de jeu de dames dont on a retrouvé un très beau spécimen dans la tombe de Kha.
Ainsi se manifestent la joie de vivre et l’enthousiasme des artisans de Deir el-Medineh qui malgré des conditions de travail extrêmement difficiles au cœur d’un univers minéral hostile s’adonnent aux plaisirs de la vie. Et l’on peut considérer que le sort de ces hommes et de ces femmes est toutefois nettement plus enviable que celui des autres habitants du pays de Kemet. Bénéficiant d’un prestige associé à leur tâche, bien rémunérés, souvent grassement récompensés par un Pharaon reconnaissant, ils peuvent prétendre à des conditions de vie agréables et enviées.










Les affaires notariales
Une des principales activés de la qenbet est d’apporter une solution équitable aux nombreux problèmes que pose une succession ou un héritage. Et les exemples découverts sur ostraca sont nombreux mais trop souvent lacunaires et incomplets. Le plus célèbre d’entre eux, le plus intact aussi, reste celui de la dame Naunakhte qui eut la sagesse de consigner sur papyrus et devant la qenbet ses dernières volontés.
Le rôle de la femme en tant que mère et en tant qu’épouse est très bien reconnu et, face à la loi égyptienne, la femme égyptienne est l’égale de son époux. Elle peut posséder ses propres biens et en avoir la jouissance pendant le mariage, biens qu’elle récupère en cas de divorce. Autres temps, autres moeurs. Lors du mariage, elle a droit à un tiers des possessions maritales, part qu’elle récupère aussi en cas de séparation. Malgré tout, des dissensions surviennent très souvent comme le cas de cette veuve qui réclame les biens de son mari que trois ouvriers indélicats ont tenté de lui soustraire. Le tribunal lui donna entière satisfaction.
Les affaires privées
Le quotidien des habitants de Deir el-Medineh, tout comme le nôtre d’ailleurs, est ponctué de petites querelles, d’accrochages, bien souvent mineurs mais qui font toutefois l’objet d’un recours auprès de la qenbet. Ainsi, c’est un père qui se plaint devant la cour de la légèreté de sa propre fille qui ne lui paie pas ou prou les services qu’il lui a maintes fois rendus.
Bien souvent, ce sont des affaires de non paiement de dettes qui encombrent le bureau de la cour de justice. Ainsi connaissons-nous la truculente histoire de l’ouvrier Menna, furieux de ne pas être payé pour le pot de graisse qu’il a vendu à crédit à un acheteur qui se fait tirer l’oreille pour s’acquitter de sa dette. Et la situation haut placée du débiteur, le chef de police Mentmose, ne trouble pas outre mesure la détermination de Menna. Un Menna qui joue de malchance puisqu’une autre affaire l’oppose à Mentmose, affaire qui dure près de onze longues années.
Puis, c’est le porteur d’eau Tcha qui lui loue un âne, pauvre animal innocent qui ne remplit pas les attentes qu’on espère de lui. Vraiment, Menna accumule les problèmes relationnels mais ces querelles intestines sont des témoignages pittoresques et parfaitement révélateurs d’une petite communauté d’hommes et de femmes vivant quasiment les uns les sur les autres, acceptant probablement avec un fatalisme tout oriental les faiblesses de tout un chacun en sachant pertinemment qu’une vie de solitude ne leur conviendrait pas du tout.
Une bonne illustration des tensions qui enveniment les relations des habitants et de l’ambition personnelle qui pousse les cœurs à calomnier autrui, est le cas malheureux de l’ouvrier Hay accusé par quatre villageois d’avoir proféré des paroles irrévérencieuses envers le Pharaon régnant, Seti II. L’affaire nécessite le jugement du tribunal car calomnier la personne du Roi est un sacrilège qui mérite une juste punition. On sait qu’à ce moment du procès les relations entre l’accusé Hay et le triste Paneb siégeant à la cour ne sont pas des plus cordiales, le colérique contremaître ayant même menacé de mort le pauvre ouvrier. Pourtant, contre toute attente, l’affaire prend une autre orientation, les accusateurs interrogés revenant sur leurs propos affirmant, comme c’est curieux, de ne rien avoir entendu et de ne plus rien savoir. Nous ne saurons jamais le fin mot de l’histoire mais les délateurs furent quand même punis de quelques coups de bâton bien placés !
Les affaires de vols
Plus graves et plus sévèrement réprimées sont les affaires de chapardage et de vol notamment lorsque le bien royal est mis en cause. Nous le verrons avec l’histoire mouvementée du plus célèbre des contremaîtres de pa demi, le triste sire Paneb qui possède à son actif une liste impressionnante de délits plus ou moins sérieux et violents, le dernier de ses méfaits, le vol d’une oie dorée dans la tombe d’une reine lui ayant été fatal.
Célèbre aussi est l’affaire Heria, cette femme accusée d’avoir volé, en l’an VI du règne de Seti II, un outil appartenant à l’ouvrier Nebnefer. Celui-ci affirme avoir enterré un ciseau de cuivre dans le sol de sa demeure mais n’explique par les raisons d’un acte aussi inattendu. Après avoir mené sa petite enquête, il est persuadé de la responsabilité de dame Héria et la traîne devant la qenbet. Dame Héria, devant un tribunal attentif, réfute cette accusation. Une perquisition menée tambour battant chez elle révèlera son délit mais aussi un grand nombre d’objets volés dans le temple local. Très certainement, dame Héria faisait-elle partie d’une bande organisée de pilleurs sans scrupule mais son grand tort avait été de jurer son innocence et de prêter serment au nom d’Amon, bêtise qui la plaça in petto au rang de parjure. Le tribunal jugea l’affaire très sévèrement et demanda la mise à mort de la coupable. Mais comme le cas était très sérieux, le dossier fut renvoyé en haute instance pour être suivi par le vizir.
Une autre jeune femme, dame Tanedjemhenes fut accusée du vol d’un vase, son cas fut présenté devant la qenbet puis porté à Thèbes. L’on ne sait pas ce qu’il advint de la voleuse mais toujours est-il qu’elle ne revint jamais plus au Village.
On le voit, la qenbet a fort à faire et les affaires se succèdent ponctuant la vie de la confrérie d’un peu de fantaisie et de sensationnalisme.
Mais le tribunal n’est pas le seul moyen de régler ces différends, une autre institution prend souvent le relais difficilement qualifiable de judiciaire mais fortement appréciée et utilisée par les habitants : le recours à l’oracle, en l’occurrence le saint patron du Village, le pharaon divinisé Amenhotep I. Et l’on n’hésite pas à interroger le roi défunt sur tel ou tel problème : c’est le subterfuge que choisit un simple ouvrier à qui des vêtements ont été dérobés. Les lumières d’un magicien sont alors requises : on nomme à cet homme habile les noms des propriétaires des maisons du Village et il s’arrête sur celle du scribe Amennakhte dont la fille est mise en cause.
Parfois aussi, les habitants se tournent vers la clairvoyance d’une voyante qui sait interroger les dieux afin qu’ils intercèdent en faveur du plaignant.
Piété et religion
Tout comme dans le reste de Kemet, le sentiment religieux occupe une place essentielle dans la vie personnelle des habitants de pa demi. Leurs croyances sont très proches de celles des autres habitants de la Vallée mais le Village a su développer les formes originales d'une piété populaire où se mêlent étroitement désirs personnels, craintes intimes, passion divine et respect des défunts.
Pour la description des chapelles, des sanctuaires et des lieux votifs voir ici.
Le culte des dieux
Sur la rive orientale du Nil, de l’autre côté du fleuve sacré, le gigantesque temple de Karnak abrite les manifestations du grand dieu d’empire Amon et de sa célèbre famille, Mout son épouse et Khonsou leur fils. Il semble bien que quelques sanctuaires lui soient dédiés sur le site de Deir el-Medineh mais à pa demi, le Roi des dieux laisse la part belle à des divinités locales nettement mieux implantées que lui et plus proches du petit peuple des artisans de Pharaon. On a cependant retrouvé des éclats de calcaire où l’image d’Amon sous son apparence animale de bélier est maintes fois représentée.
Ainsi, supplantant Amon, une des divinités majeures du panthéon égyptien a superbement trouvé sa place dans le cœur des villageois : la belle déesse Hathor de Denderah a conquis les âmes et elle est devenue, entre autres diverses attributions, la déesse de la nécropole. De nombreux temples furent construits sur le site en son honneur dont le dernier en date, le temple ptolémaïque et un grand nombre de stèles portant son nom furent aussi retrouvées un peu partout tant dans le Village qu'à proximité des chapelles votives. Sa renommée dépasse les limites de pa demi, elle étend son pouvoir jusqu’à Deir el-Bahari et généralement sur toute la rive occidentale.
Déesse de la nécropole donc, mais aussi déesse de l’amour, de la musique et de la danse, déesse de la joie, déesse céleste, nourrice divine des rois, elle est adorée pour sa beauté et ses nombreuses qualités, la passion qu’elle provoque dans l’esprit de certains déborde parfois de la simple vénération pour tomber dans les manifestations inattendues d’un profond sentiment de piété personnelle qui unit encore plus étroitement l’individu à sa divinité. Le plus bel exemple de cette adoration, c’est l’ouvrier Qenherkhepeshef qui nous l’offre par le truchement d’une stèle votive très éloquente. Cette œuvre magnifique est actuellement conservée au British Museum.
Mais la belle Hathor n’est pas la seule déesse à étreindre le cœur des artisans de pa demi, la mystérieuse déesse-serpent Meretseger Celle qui aime le silence partage à ses côtés les faveurs du petit peuple en tant que protectrice de la nécropole. Son culte est nettement plus localisé que celui d’Hathor et son nom est associé à la Sainte Cime. Elle est, en quelque sorte, la personnification de l’éperon rocheux qui surplombe, à mi-chemin entre le Village et la Vallée des Reines, le sanctuaire rupestre qui lui est dédié aux côtés de Ptah.
Ainsi la nomme-t-on le Beau promontoire, la Maîtresse du promontoire, la Dame ou la Cime de l’Occident, et ce lieu si particulier qui évoque la tête d’un serpent cobra prêt à cracher son venin lui convient tout à fait. Du haut de son observatoire, elle surveille la Vallée, son aspect vindicatif met en garde quiconque oserait s’approcher trop près de ses fidèles villageois qui lui offrent toute leur confiance. Mais Meretseger ne se contente pas de protéger le Grand Lieu, elle descend aussi dans le Village, pénètre au cœur des maisons, on lui dédicace des stèles dans les chapelles et les sanctuaires qui bordent le Village, elle devient Celle qui protége celui qui la porte dans son cœur. Et comme la plupart des divinités égyptiennes, elle peut se montrer tour à tour protectrice, aimante, tolérante mais peut-elle, soudainement, se transformer et devenir celle qui punit, qui châtie le coupable ou le malfaisant pour ensuite lui pardonner s’il fait son repentir.
Cette ambivalence de caractère propre à de nombreuses figures du panthéon égyptien (voir Mythes et Légendes) rapproche encore un peu plus la divinité du peuple qui l’adore et la porte en image sur différents supports : sur des stèles votives, elle apparaît dans toute sa combativité, le corps ondulant, la tête coiffée d’un disque solaire encadré par deux cornes de vache, la partie inférieure de la stèle mettant en scène, très souvent, des petits serpents, vipères ou couleuvres, destinés à la seconder ; sur des ostraca émouvants où la main pieuse et habile de l’artisan a tracé les contours d’un ex-voto destiné à être placé au pied d’un oratoire ; sur des statues enfin où son corps toujours ondulant et replié s’achève par une tête de cobra ou de femme, statue devant laquelle on place un bassin de libations, destiné aux offrandes.
Meretseger est associée à une autre déesse serpent, Renoutet dont le rôle est plus précisément de protéger les cuisines et de veiller au bon approvisionnement des silos et greniers.
Une autre grande figure du panthéon égyptien a sa place à pa demi, notamment aux côtés de Meretseger dans l’oratoire rupestre cité plus haut : Ptah, le dieu de Memphis s’est déplacé jusque dans la Vallée Occidentale car son titre de saint patron des ouvriers et des artisans lui offre une place de choix au Village.
Peut-on aussi citer la célèbre triade d’Eléphantine composée de Khnoum et de ses deux parèdres Satis et Anoukis, triade divine que l’on trouve bien souvent représentée sur de nombreux ostraca ou ex-voto sans que l’on sache vraiment si un sanctuaire particulier lui fut consacré.
Sous leurs formes animales, certains dieux pénétrèrent au cœur de pa demi, probablement en raison de la très sage intuition partagée par le peuple égyptien qu’il vaut mieux se prémunir de leurs colères et se concilier leurs faveurs tel le dieu Sobek, la terreur du Nil ou Sekhmet, la déesse lionne qui peut apporter maladies, sécheresse, épidémies. Parmi les déesses plus sereines il convient de citer Toueris particulièrement aimée des parturientes, déesse associée aux rites de la naissance et le vilain mais si pittoresque Bés, petit nain difforme qui protège la maisonnée des mauvais esprits qu’il éloigne par ses grimaces mais aussi par ses chants.
Si les dieux étrangers ont su pénétrer en Egypte et y être adoptés par la population locale avec une tolérance et une bienveillance que l’on rencontre rarement dans d’autres civilisations dites évoluées, ces mêmes dieux ont su se faire aimer de la petite communauté. Les preuves archéologiques sont bien là pour confirmer cette ouverture d’esprit et cette reconnaissance des différences, sympathie d’autant plus affirmée que la représentation de ces dieux ou déesses sur le sol égyptien n’obéit pas toujours aux règles esthétiques en vigueur dans le pays qui les accueille, les respectant peut-être encore mieux ainsi : la stèle de Hay met en scène un dieu syro-palestinien, le dieu Reshep dieu guerrier par excellence ; la stèle de Houy met en scène la sensuelle déesse de la fertilité, la belle Qadesh.
Les officiants du culte divin
A la lumière de ces quelques lignes qui prouvent un profond sentiment religieux et un attachement sincère porté aux dieux, il pourrait sembler naturel que les habitants de pa demi se soient attachés les services de prêtres spécialisés. Il n’en est rien, ce sont les villageois eux-mêmes qui endossent l’habit sacerdotal et pratiquent tous les rituels en l’honneur des dieux. Tout comme dans le reste du pays, le dieu a droit au même respect, tous les matins on le lave, on l’oint d’huiles saintes, on l’habille et on le prie à la seule différence que les officiants du culte sont aussi ceux qui creusent la tombe de Pharaon.
Les Pharaons divinisés
Si les dieux sont largement adorés et vénérés, un Pharaon et sa mère ont su conquérir le Village tant et si bien qu’ils sont devenus, une fois déifiés par leurs adorateurs, les Saints patrons du Village. Pourtant Amenhotep I, puisqu'il s'agit de lui, n’est pas vraiment considéré comme le fondateur de pa demi, paternité qu’il vaut mieux attribuer à Thoutmosis I. Probablement doit-on expliquer cet engouement posthume exceptionnel au charisme remarquable qui auréole la personnalité de sa mère, la Reine Ahmès-Nefertari considérée, aux côtés de son époux mort prématurément, comme la libératrice du joug hyksos. Associée à la redécouverte d’une liberté occultée durant la Seconde Période Intermédiaire, liberté qu’une autre Reine, la reine Ahhotep avait commencé à dessiner, sa détermination est à l’origine de la reconquête de l’Egypte qu’elle offre quasiment libre à Amenhotep I. Parée de nombreux titres flatteurs, on crée spécialement pour elle ceux de Second Prophète d’Amon et Epouse divine d’Amon. Non seulement, on édifie sanctuaires et chapelles à ce couple divinisé mais leur succès est tel qu’ils se déplacent jusque sur la rive orientale du Nil, à Karnak, dans le sanctuaire même du grand Amon où on leur consacre une chapelle aujourd’hui disparue, tandis qu’à Dra Aboul- Naggah un temple funéraire encore visible est consacré à la Reine. Au moment le plus chaud de la saison shemou, le quinzième jour du second mois, d’autres sources citent le onzième jour du second mois de shemou, le couple adoré est transporté à travers le Village et rend alors ses fameux oracles. C'est alors l'occasion, six jours durant, de donner libre cours à sa joie, pouvons-nous même aller plus loin et affirmer que c'est le moment ou jamais accordé à de grandes beuveries débridées:
"Léquipe s'est réjouie devant lui pendant quatre jours entiers passés à boire, avec leurs enfants et leurs épouses"
Le culte des défunts
Un excellent exemple de la piété personnelle des égyptiens et du profond sentiment religieux qui les anime est le culte qu’ils rendent ardemment à leurs défunts, ceux que l’on nomme les akhou, les morts bienheureux, les esprits excellents de Rê. Cette forme de dévotion envers les ancêtres dont la mémoire est redoutée car on suppose qu’ils peuvent à tout moment revenir hanter les vivants n’est pas l’apanage du Village. Les habitants de Kemet doivent aussi s’adonner avec ferveur à ce culte laraire mais c’est à Deir el-Medineh qu’il est sûrement le plus facilement lisible. Le culte des ancêtres se fait tout d’abord au sein même de la maison où des autels domestiques supportent les stèles qui leur sont dédiées ainsi que les bustes anthropomorphes qui les représentent. Mais on honore aussi les aïeux au cœur des chapelles de la nécropole où se rendent très régulièrement les vivants, porteurs d’offrandes et de nourriture qu’ils déposent sur les autels familiaux pour le bien-être du défunt et la tranquillité du vivant. Morts et vivants cohabitent harmonieusement, les premiers ne sont pas oubliés, leur souvenir reste vif dans l’esprit de ceux qui restent, les seconds honorent ceux qui ont rejoint les Jardins d’Ialou, ils craignent, en osant les oublier, de s’attirer leur terrible vengeance.
Les stèles sont quasiment toutes du même type, leur taille peut varier de 7 à 50 cm et elles concernent presque toutes des hommes. Que voit-on sur cette stèle qui soit un hommage au défunt ? Tout simplement voit-on l’ancêtre divinisé, ce fameux akh iqer, esprit excellent de Rê, généralement assis, tenant dans sa main une fleur de lotus, symbole de reviviscence tandis que l’autre étreint le signe ankh ou se tend vers la table chargée d’offrandes. Parfois se sont deux dédicataires qui se font face, toujours autour d’une table d’offrandes et respirant le doux lotus.
Un autre support de culte est celui du buste anthropomorphe également destiné à représenter l’akh iqer du défunt. De facture très simple, ce buste (il n’a été retrouvé qu’un seul type de buste double)) sans bras, polychrome mais anépigraphe trouve sa place plus spécialement dans la demeure familiale au sein d’une niche. Bassins à libations et tables d’offrandes sont aussi utilisés en complément du culte des ancêtres.
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