Les affaires notariales
Une des principales activés de la
qenbet est d’apporter une solution équitable aux nombreux problèmes que pose une succession ou un héritage. Et les exemples découverts sur
ostraca sont nombreux mais trop souvent lacunaires et incomplets. Le plus célèbre d’entre eux, le plus intact aussi, reste celui de la dame
Naunakhte qui eut la sagesse de consigner sur papyrus et devant la
qenbet ses dernières volontés.
Le rôle de la femme en tant que mère et en tant qu’épouse est très bien reconnu et, face à la loi égyptienne, la femme égyptienne est l’égale de son époux. Elle peut posséder ses propres biens et en avoir la jouissance pendant le mariage, biens qu’elle récupère en cas de divorce.
Autres temps, autres moeurs. Lors du mariage, elle a droit à un tiers des possessions maritales, part qu’elle récupère aussi en cas de séparation. Malgré tout, des dissensions surviennent très souvent comme le cas de cette veuve qui réclame les biens de son mari que trois ouvriers indélicats ont tenté de lui soustraire. Le tribunal lui donna entière satisfaction.
Les affaires privées
Le quotidien des habitants de Deir el-Medineh, tout comme le nôtre d’ailleurs, est ponctué de petites querelles, d’accrochages, bien souvent mineurs mais qui font toutefois l’objet d’un recours auprès de la
qenbet. Ainsi, c’est un père qui se plaint devant la cour de la légèreté de sa propre fille qui ne lui paie pas ou prou les services qu’il lui a maintes fois rendus.
Bien souvent, ce sont des affaires de non paiement de dettes qui encombrent le bureau de la cour de justice. Ainsi connaissons-nous la truculente histoire de l’ouvrier Menna, furieux de ne pas être payé pour le pot de graisse qu’il a vendu à crédit à un acheteur qui se fait tirer l’oreille pour s’acquitter de sa dette. Et la situation haut placée du débiteur, le chef de police Mentmose, ne trouble pas outre mesure la détermination de Menna. Un Menna qui joue de malchance puisqu’une autre affaire l’oppose à Mentmose, affaire qui dure près de onze longues années.
Puis, c’est le porteur d’eau Tcha qui lui loue un âne, pauvre animal innocent qui ne remplit pas les attentes qu’on espère de lui. Vraiment, Menna accumule les problèmes relationnels mais ces querelles intestines sont des témoignages pittoresques et parfaitement révélateurs d’une petite communauté d’hommes et de femmes vivant quasiment les uns les sur les autres, acceptant probablement avec un fatalisme tout oriental les faiblesses de tout un chacun en sachant pertinemment qu’une vie de solitude ne leur conviendrait pas du tout.
Une bonne illustration des tensions qui enveniment les relations des habitants et de l’ambition personnelle qui pousse les cœurs à calomnier autrui, est le cas malheureux de l’ouvrier Hay accusé par quatre villageois d’avoir proféré des paroles irrévérencieuses envers le
Pharaon régnant, Seti II. L’affaire nécessite le jugement du tribunal car calomnier la personne du Roi est un sacrilège qui mérite une juste punition. On sait qu’à ce moment du procès les relations entre l’accusé Hay et le triste Paneb siégeant à la cour ne sont pas des plus cordiales, le colérique contremaître ayant même menacé de mort le pauvre ouvrier. Pourtant, contre toute attente, l’affaire prend une autre orientation, les accusateurs interrogés revenant sur leurs propos affirmant, comme c’est curieux, de ne rien avoir entendu et de ne plus rien savoir. Nous ne saurons jamais le fin mot de l’histoire mais les délateurs furent quand même punis de quelques coups de bâton bien placés !
Les affaires de vols
Plus graves et plus sévèrement réprimées sont les affaires de chapardage et de vol notamment lorsque le bien royal est mis en cause. Nous le verrons avec l’histoire mouvementée du plus célèbre des contremaîtres de
pa demi, le triste sire Paneb qui possède à son actif une liste impressionnante de délits plus ou moins sérieux et violents, le dernier de ses méfaits, le vol d’une oie dorée dans la tombe d’une reine lui ayant été fatal.
Célèbre aussi est l’affaire Heria, cette femme accusée d’avoir volé, en l’an VI du règne de Seti II, un outil appartenant à l’ouvrier Nebnefer. Celui-ci affirme avoir enterré un ciseau de cuivre dans le sol de sa demeure mais n’explique par les raisons d’un acte aussi inattendu. Après avoir mené sa petite enquête, il est persuadé de la responsabilité de dame Héria et la traîne devant la
qenbet. Dame Héria, devant un tribunal attentif, réfute cette accusation. Une perquisition menée tambour battant chez elle révèlera son délit mais aussi un grand nombre d’objets volés dans le temple local. Très certainement, dame Héria faisait-elle partie d’une bande organisée de pilleurs sans scrupule mais son grand tort avait été de jurer son innocence et de prêter serment au nom d’
Amon, bêtise qui la plaça in petto au rang de parjure. Le tribunal jugea l’affaire très sévèrement et demanda la mise à mort de la coupable. Mais comme le cas était très sérieux, le dossier fut renvoyé en haute instance pour être suivi par le vizir.
Une autre jeune femme, dame Tanedjemhenes fut accusée du vol d’un vase, son cas fut présenté devant la
qenbet puis porté à Thèbes. L’on ne sait pas ce qu’il advint de la voleuse mais toujours est-il qu’elle ne revint jamais plus au Village.
On le voit, la
qenbet a fort à faire et les affaires se succèdent ponctuant la vie de la confrérie d’un peu de fantaisie et de sensationnalisme.
Mais le tribunal n’est pas le seul moyen de régler ces différends, une autre institution prend souvent le relais difficilement qualifiable de judiciaire mais fortement appréciée et utilisée par les habitants : le recours à l’oracle, en l’occurrence le saint patron du Village, le pharaon divinisé Amenhotep I. Et l’on n’hésite pas à interroger le roi défunt sur tel ou tel problème : c’est le subterfuge que choisit un simple ouvrier à qui des vêtements ont été dérobés. Les lumières d’un magicien sont alors requises : on nomme à cet homme habile les noms des propriétaires des maisons du Village et il s’arrête sur celle du scribe Amennakhte dont la fille est mise en cause.
Parfois aussi, les habitants se tournent vers la clairvoyance d’une voyante qui sait interroger les dieux afin qu’ils intercèdent en faveur du plaignant.
Piété et religion
Tout comme dans le reste de Kemet, le sentiment religieux occupe une place essentielle dans la vie personnelle des habitants de
pa demi. Leurs croyances sont très proches de celles des autres habitants de la Vallée mais le Village a su développer les formes originales d'une piété populaire où se mêlent étroitement désirs personnels, craintes intimes, passion divine et respect des défunts.
Pour la description des chapelles, des sanctuaires et des lieux votifs voir
ici.
Le culte des dieux
Sur la rive orientale du Nil, de l’autre côté du fleuve sacré, le gigantesque temple de
Karnak abrite les manifestations du grand dieu d’empire
Amon et de sa célèbre famille,
Mout son épouse et
Khonsou leur fils. Il semble bien que quelques sanctuaires lui soient dédiés sur le site de Deir el-Medineh mais à
pa demi, le Roi des dieux laisse la part belle à des divinités locales nettement mieux implantées que lui et plus proches du petit peuple des artisans de Pharaon. On a cependant retrouvé des éclats de calcaire où l’image d’Amon sous son apparence animale de bélier est maintes fois représentée.
Ainsi, supplantant Amon, une des divinités majeures du panthéon égyptien a superbement trouvé sa place dans le cœur des villageois : la belle déesse
Hathor de
Denderah a conquis les âmes et elle est devenue, entre autres diverses attributions, la déesse de la nécropole. De nombreux temples furent construits sur le site en son honneur dont le dernier en date, le temple ptolémaïque et un grand nombre de stèles portant son nom furent aussi retrouvées un peu partout tant dans le Village qu'à proximité des chapelles votives. Sa renommée dépasse les limites de
pa demi, elle étend son pouvoir jusqu’à Deir el-Bahari et généralement sur toute la rive occidentale.
Déesse de la nécropole donc, mais aussi déesse de l’amour, de la musique et de la danse, déesse de la joie, déesse céleste, nourrice divine des rois, elle est adorée pour sa beauté et ses nombreuses qualités, la passion qu’elle provoque dans l’esprit de certains déborde parfois de la simple vénération pour tomber dans les manifestations inattendues d’un profond sentiment de piété personnelle qui unit encore plus étroitement l’individu à sa divinité. Le plus bel exemple de cette adoration, c’est l’ouvrier Qenherkhepeshef qui nous l’offre par le truchement d’une stèle votive très éloquente. Cette œuvre magnifique est actuellement conservée au British Museum.
Mais la belle Hathor n’est pas la seule déesse à étreindre le cœur des artisans de
pa demi, la mystérieuse déesse-serpent
Meretseger
Celle qui aime le silence partage à ses côtés les faveurs du petit peuple en tant que protectrice de la nécropole. Son culte est nettement plus localisé que celui d’Hathor et son nom est associé à la Sainte Cime. Elle est, en quelque sorte, la personnification de l’éperon rocheux qui surplombe, à mi-chemin entre le Village et la Vallée des Reines, le sanctuaire rupestre qui lui est dédié aux côtés de Ptah.
Ainsi la nomme-t-on
le Beau promontoire,
la Maîtresse du promontoire,
la Dame ou l
a Cime de l’Occident, et ce lieu si particulier qui évoque la tête d’un serpent cobra prêt à cracher son venin lui convient tout à fait. Du haut de son observatoire, elle surveille la Vallée, son aspect vindicatif met en garde quiconque oserait s’approcher trop près de ses fidèles villageois qui lui offrent toute leur confiance. Mais Meretseger ne se contente pas de protéger le Grand Lieu, elle descend aussi dans le Village, pénètre au cœur des maisons, on lui dédicace des stèles dans les chapelles et les sanctuaires qui bordent le Village, elle devient
Celle qui protége celui qui la porte dans son cœur. Et comme la plupart des divinités égyptiennes, elle peut se montrer tour à tour protectrice, aimante, tolérante mais peut-elle, soudainement, se transformer et devenir celle qui punit, qui châtie le coupable ou le malfaisant pour ensuite lui pardonner s’il fait son repentir.
Cette ambivalence de caractère propre à de nombreuses figures du panthéon égyptien (voir
Mythes et Légendes) rapproche encore un peu plus la divinité du peuple qui l’adore et la porte en image sur différents supports : sur des stèles votives, elle apparaît dans toute sa combativité, le corps ondulant, la tête coiffée d’un disque solaire encadré par deux cornes de vache, la partie inférieure de la stèle mettant en scène, très souvent, des petits serpents, vipères ou couleuvres, destinés à la seconder ; sur des ostraca émouvants où la main pieuse et habile de l’artisan a tracé les contours d’un ex-voto destiné à être placé au pied d’un oratoire ; sur des statues enfin où son corps toujours ondulant et replié s’achève par une tête de cobra ou de femme, statue devant laquelle on place un bassin de libations, destiné aux offrandes.
Meretseger est associée à une autre déesse serpent, Renoutet dont le rôle est plus précisément de protéger les cuisines et de veiller au bon approvisionnement des silos et greniers.
Une autre grande figure du panthéon égyptien a sa place à
pa demi, notamment aux côtés de Meretseger dans l’oratoire rupestre cité plus haut :
Ptah, le dieu de
Memphis s’est déplacé jusque dans la Vallée Occidentale car son titre de saint patron des ouvriers et des artisans lui offre une place de choix au Village.
Peut-on aussi citer la célèbre triade d’Eléphantine composée de
Khnoum et de ses deux parèdres
Satis et
Anoukis, triade divine que l’on trouve bien souvent représentée sur de nombreux ostraca ou ex-voto sans que l’on sache vraiment si un sanctuaire particulier lui fut consacré.
Sous leurs formes animales, certains dieux pénétrèrent au cœur de
pa demi, probablement en raison de la très sage intuition partagée par le peuple égyptien qu’il vaut mieux se prémunir de leurs colères et se concilier leurs faveurs tel le dieu
Sobek, la terreur du Nil ou
Sekhmet, la déesse lionne qui peut apporter maladies, sécheresse, épidémies. Parmi les déesses plus sereines il convient de citer
Toueris particulièrement aimée des parturientes, déesse associée aux rites de la naissance et le vilain mais si pittoresque
Bés, petit nain difforme qui protège la maisonnée des mauvais esprits qu’il éloigne par ses grimaces mais aussi par ses chants.
Si les dieux étrangers ont su pénétrer en Egypte et y être adoptés par la population locale avec une tolérance et une bienveillance que l’on rencontre rarement dans d’autres civilisations dites évoluées, ces mêmes dieux ont su se faire aimer de la petite communauté. Les preuves archéologiques sont bien là pour confirmer cette ouverture d’esprit et cette reconnaissance des différences, sympathie d’autant plus affirmée que la représentation de ces dieux ou déesses sur le sol égyptien n’obéit pas toujours aux règles esthétiques en vigueur dans le pays qui les accueille, les respectant peut-être encore mieux ainsi : la stèle de Hay met en scène un dieu syro-palestinien, le dieu Reshep dieu guerrier par excellence ; la stèle de Houy met en scène la sensuelle déesse de la fertilité, la belle Qadesh.
Les officiants du culte divin
A la lumière de ces quelques lignes qui prouvent un profond sentiment religieux et un attachement sincère porté aux dieux, il pourrait sembler naturel que les habitants de
pa demi se soient attachés les services de prêtres spécialisés. Il n’en est rien, ce sont les villageois eux-mêmes qui endossent l’habit sacerdotal et pratiquent tous les rituels en l’honneur des dieux. Tout comme dans le reste du pays, le dieu a droit au même respect, tous les matins on le lave, on l’oint d’huiles saintes, on l’habille et on le prie à la seule différence que les officiants du culte sont aussi ceux qui creusent la tombe de
Pharaon.
Les Pharaons divinisés
Si les dieux sont largement adorés et vénérés, un Pharaon et sa mère ont su conquérir le Village tant et si bien qu’ils sont devenus, une fois déifiés par leurs adorateurs, les Saints patrons du Village. Pourtant Amenhotep I, puisqu'il s'agit de lui, n’est pas vraiment considéré comme le fondateur de
pa demi, paternité qu’il vaut mieux attribuer à Thoutmosis I. Probablement doit-on expliquer cet engouement posthume exceptionnel au charisme remarquable qui auréole la personnalité de sa mère, la Reine Ahmès-Nefertari considérée, aux côtés de son époux mort prématurément, comme la libératrice du joug hyksos. Associée à la redécouverte d’une liberté occultée durant la
Seconde Période Intermédiaire, liberté qu’une autre Reine, la reine Ahhotep avait commencé à dessiner, sa détermination est à l’origine de la reconquête de l’Egypte qu’elle offre quasiment libre à Amenhotep I. Parée de nombreux titres flatteurs, on crée spécialement pour elle ceux de
Second Prophète d’Amon et Epouse divine d’Amon. Non seulement, on édifie sanctuaires et chapelles à ce couple divinisé mais leur succès est tel qu’ils se déplacent jusque sur la rive orientale du Nil, à Karnak, dans le sanctuaire même du grand Amon où on leur consacre une chapelle aujourd’hui disparue, tandis qu’à Dra Aboul- Naggah un temple funéraire encore visible est consacré à la Reine. Au moment le plus chaud de la saison shemou, le quinzième jour du second mois, d’autres sources citent le onzième jour du second mois de shemou, le couple adoré est transporté à travers le Village et rend alors ses fameux oracles. C'est alors l'occasion, six jours durant, de donner libre cours à sa joie, pouvons-nous même aller plus loin et affirmer que c'est le moment ou jamais accordé à de grandes beuveries débridées:
"Léquipe s'est réjouie devant lui pendant quatre jours entiers passés à boire, avec leurs enfants et leurs épouses"
Le culte des défunts
Un excellent exemple de la piété personnelle des égyptiens et du profond sentiment religieux qui les anime est le culte qu’ils rendent ardemment à leurs
défunts, ceux que l’on nomme les
akhou, les morts bienheureux, les esprits excellents de Rê. Cette forme de dévotion envers les ancêtres dont la mémoire est redoutée car on suppose qu’ils peuvent à tout moment revenir hanter les vivants n’est pas l’apanage du Village. Les habitants de Kemet doivent aussi s’adonner avec ferveur à ce culte laraire mais c’est à Deir el-Medineh qu’il est sûrement le plus facilement lisible. Le culte des ancêtres se fait tout d’abord au sein même de la maison où des autels domestiques supportent les stèles qui leur sont dédiées ainsi que les bustes anthropomorphes qui les représentent. Mais on honore aussi les aïeux au cœur des chapelles de la nécropole où se rendent très régulièrement les vivants, porteurs d’offrandes et de nourriture qu’ils déposent sur les autels familiaux pour le bien-être du défunt et la tranquillité du vivant. Morts et vivants cohabitent harmonieusement, les premiers ne sont pas oubliés, leur souvenir reste vif dans l’esprit de ceux qui restent, les seconds honorent ceux qui ont rejoint les Jardins d’Ialou, ils craignent, en osant les oublier, de s’attirer leur terrible vengeance.
Les stèles sont quasiment toutes du même type, leur taille peut varier de 7 à 50 cm et elles concernent presque toutes des hommes. Que voit-on sur cette stèle qui soit un hommage au défunt ? Tout simplement voit-on l’ancêtre divinisé, ce fameux
akh iqer, esprit excellent de Rê, généralement assis, tenant dans sa main une fleur de lotus, symbole de reviviscence tandis que l’autre étreint le signe ankh ou se tend vers la table chargée d’offrandes. Parfois se sont deux dédicataires qui se font face, toujours autour d’une table d’offrandes et respirant le doux lotus.
Un autre support de culte est celui du buste anthropomorphe également destiné à représenter l’
akh iqer du défunt. De facture très simple, ce buste (il n’a été retrouvé qu’un seul type de buste double)) sans bras, polychrome mais anépigraphe trouve sa place plus spécialement dans la demeure familiale au sein d’une niche. Bassins à libations et tables d’offrandes sont aussi utilisés en complément du culte des ancêtres.
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