La mort fut le premier mystère.
Elle mit l'homme sur la voie des autres mystères,
Elle éleva sa pensée du visible à l'invisible, du passager à l'éternel,
de l'humain au divin...... Fustel de Coulanges
Toutes les sociétés ont dû affronter la douloureuse expérience de la mort, et surtout faire face aux mystères qui l’entourent. Chaque civilisation propose son approche personnelle de l’inéluctable passage dans l’Au-delà, les Egyptiens l’ont abordé de manière directe et très complexe. L’image universelle d’une Egypte aux pratiques funéraires originales où des momies soigneusement embaumées et bandelettées sont ensevelies dans des tombes étrangement conçues donne l’impression surprenante d’une société très fortement attirée par la mort, voire obsédée maladivement par elle.
L’impossibilité de passer outre cette fin annoncée a encouragé l’Egyptien à penser que la vie ne s’arrêtait peut-être pas avec la décomposition de l’enveloppe charnelle. D’ailleurs la nature lui offrait quotidiennement des raisons de croire à un éventuel recommencement : le retour quotidien du soleil à l’orient du ciel, la renaissance des végétaux, le retour annuel de la crue et de ses bienfaits après la terrible sécheresse étaient des modèles encourageants de régénération. Régulièrement, la preuve était faite que le chaos et le désordre étaient relégués aux confins du monde afin que survivent les forces positives. Parfaitement intégré dans la marche du monde, l’Egyptien avait donc quelques bonnes raisons de croire qu’il pourrait en être de même pour sa survie. Ne dédaignant pas les plaisirs de la vie terrestre, il comptait bien poursuivre aussi longtemps que possible cette existence après la mort tout en préservant son intégrité physique, sa personnalité, ses biens matériels sans oublier d'acquérir une petite parcelle de l'étincelle divine.
Mais le chemin à parcourir pour atteindre l’éternité promise était très long, voire périlleux et semé d’embûches. Il fallait donc préparer de son vivant ce délicat passage dans l’Autre Monde : préparation morale tout d’abord, condition essentielle pour une présentation réussie devant le tribunal d’Osiris, et qui avait pour précepte primordial de respecter la Maât, de ne pas faire le mal, de mener une vie droite et généreuse. Préparation matérielle ensuite avec pour facteurs déterminants la construction d’une tombe où déposer son corps transformé en une momie et l’organisation d’un culte qui perpétuerait son nom à travers les générations. En quoi chaque Egyptien eut-il en sa possession toutes les conditions nécessaires pour effectuer cette délicate mission est chose difficile à déterminer. Comme dans toute société fortement hiérarchisée, et l’Egypte n’échappa pas à la règle, les différences de niveau étaient bien tranchées et il fut très aléatoire pour celui qui se trouvait au bas de l’échelle sociale de réunir tous les ingrédients.
LE COMPOSE HUMAIN
L’approche de la personnalité humaine selon la pensée égyptienne est extrêmement riche.
Tout d’abord, l’homme possède un corps, khet, simple support matériel. Indissociable de lui, il y a son ombre, shout, destinée à le suivre partout. Enfin, il a un nom, ren, donné à la naissance. Quant à la partie immatérielle de l’homme, il y a le ka, sorte de double, le ba, appelé parfois improprement âme et l’akh, petite étincelle lumineuse. Le corps, khet. Le corps est la base matérielle qui supporte tous les autres composés de la personnalité humaine. Ce rôle explique l’importance accordée à la préservation de cette enveloppe charnelle. Une des punitions les plus redoutées de l’Egyptien est de voir son corps torturé, démembré, anéanti, privé de son intégrité. Mais ce corps, malgré son importance, n’a pas de caractère unique : une image, une statue peuvent très bien le remplacer. L’ombre, shout. L’ombre est bien sûr indissociable du corps, l’Egyptien y attache une importance toute particulière et elle l’accompagne dans son voyage d’outre-tombe. Dans les tombes du Nouvel Empire, l’ombre noire du défunt est souvent représentée quittant la tombe en compagnie du ba. Le nom, ren. Le nom est attribué à l’enfant dès sa naissance et donner un nom à un être ou à une chose revient à lui donner la vie et à lui donner une forme. Renommer un défunt, lors des offrandes quotidiennes, par exemple, c'est conserver sa mémoire. Inversement, effacer un nom, c’est anéantir l’entité qu’il représente. C’est pourquoi, il est de coutume de marteler les noms de ceux que l’on ne veut plus garder dans le souvenir, tel le cas d’Akhenaton, ou simplement de le mutiler, tel le cas des criminels à qui l’on supprime ou modifie de façon péjorative le nom. A jamais rayé de la mémoire collective, leur souvenir n’est plus ainsi honoré. Le double, ka. Le ka représente le double de l’individu, son alter ego en quelque sorte. Le ka appartient aussi bien aux dieux qu’aux hommes. Cependant, par leur nature même, les dieux en possèdent souvent plusieurs : quatorze pour Rê, tous expressions de sa personnalité extraordinaire. Maspero l’appelle double car on le voit doublant l’image du roi sur la plupart des bas-reliefs, représenté plus petit et portant un sceptre. Mais, outre cela, il possède un aspect individuel plus marqué et représente la personnalité même de l’individu, son tempérament. En fait, c’est dans le ka que réside l’énergie vitale de l’être humain. Le ka ne disparaît pas au moment de la mort, et, au lieu d’employer le terme mourir, l’Egyptien préfère dire passer à son ka. Le signe hiéroglyphique du ka se présente comme deux bras tendus vers le ciel dessinant un carré ouvert sur le côté supérieur. Par ce geste copié, les officiants du culte ramènent le ka des dieux ou des défunts dans leur statue de culte. L’âme, ba. Le ba est l’élément qui se rapproche le plus du ka. C’est une des composantes spirituelles qui s’apparente aussi le mieux à notre conception de l’âme. Son caractère est plus intellectuel que celui du ka. Le ba est figuré par un oiseau, l’oiseau jaïbiru, sorte d’échassier que l’on remplaça, peu à peu, par un oiseau à tête humaine. Le ba est mobile : il peut résider dans la momie ou dans n’importe quel autre support servant à représenter le défunt. C’est grâce à lui que les défunts peuvent accomplir leurs transformations dans l’Au-delà. L’étincelle lumineuse, l’akh. Dès sa conception, tout individu possède une parcelle de la Lumière divine qui s’enrichit des expériences accumulées au cours de la vie. L’akh, personnifié par un ibis, s’associe au ka et au ba afin que l’être parfait puisse réintégrer le ciel. Parfois, les défunts peuvent se manifester aux vivants sous la forme de akhou et leurs irruptions impromptues ressemblent alors aux manifestations de nos fantômes.
Tous ces principes, réunis harmonieusement durant la vie, peuvent donc, par le passage à la mort, être douloureusement séparés. La dispersion de ces éléments ne doit pas intervenir. Il faut donc leur conserver un support tangible : ce fut la momie
LES RITES DE LA MOMIFICATION
Très tôt donc, afin de préserver la bonne réunion de tous les éléments cités ci-dessus, l’Egyptien chercha les moyens de conserver l’intégrité de son corps et ces efforts aboutirent à un rituel très complexe et patiemment élaboré au fil des siècles, celui de la momification. Le climat égyptien, très sec et chaud, incite et permet cette démarche. En effet, à l’époque préhistorique, la dépouille mortelle est placée en position fœtale dans une peau de bête, ou enfermée dans une outre en cuir, accompagnée parfois de quelques objets usuels ou bijoux, et ensevelie dans une simple fosse recouverte de sable. Puis la nature et le temps participent au processus de dessiccation. Ces momies naturelles se sont conservées de manière remarquable, telle la momie Ginger que l’on peut voir au British Muséum Photo. Souvent déterrés par les animaux sauvages, l’état conservé de ces corps a pu faire germer dans l’esprit de l’homme du Nil l’idée d’une survie possible de l’individu après la mort. Afin de protéger les dépouilles des prédateurs, on les plaça dans des cercueils, puis dans des caveaux où, malheureusement, l’effet inverse se produisit puisque, isolées du contact du sable, elles se décomposèrent rapidement. Cette constatation incita alors à prendre des mesures de protection. Les débuts de l’art de l’embaumement furent lents et difficiles avec des résultats inégaux, pour aboutir au Nouvel Empire à une technique parfaitement maîtrisée par ses artisans. Il fallut pour atteindre ce résultat près de deux mille ans de tâtonnements et de recherches.
La première momie connue, la plus célèbre aussi fut celle d’Osiris, inventée par Isis qui, aidée de Nephtys et d’Anubis, permit à son époux de revenir à la vie. Tous les individus n’eurent pas le bonheur de bénéficier d’un rituel de momification parfait et complet, mais l’on peut tout de même tirer un certain schéma directeur. En premier lieu, le mort est conduit jusqu’à la Tente de purification, appelée ibu : là, on procède au lavage du corps à l’aide d’une eau additionnée de natron tandis qu’un prêtre récite quelques paroles vivificatrices. Puis le corps est transporté jusqu’à la Place Pure, ouabet, ou la Belle Maison, per nefer, endroit situé à quelques pas de la nécropole. A l’abri des regards, les embaumeurs peuvent commencer leur patient travail. Le terme d’exopylite, habitant hors des portes, qui désigne ces personnes prouve qu’elles doivent bien être établies relativement loin des villes pour s’adonner à leurs macabres occupations (lire Sinouhé l’Egyptien).
Nous n’avons aucun texte décrivant les diverses opérations qui s’opèrent dans cette ouabet. Quelques textes mentionnent le rituel du bandelettage. Notre principale source reste pour l’instant le témoignage d’Hérodote (450 av. J.C.) qui, critiqué dans certains domaines en raison de son esprit fabulateur, offre une description relativement digne de confiance de ce sujet. Diodore de Sicile apportera aussi quelques précisions. Voir dans Extraits de Textes ce qu’Hérodote a écrit sur la momification. Une fois rentré dans la ouabet, le corps est remis en premier lieu au paraschite qui procède à l’ablation du cerveau par la voie naso-ethmoïdale décrite par Hérodote Photo (outils). La cavité crânienne est ensuite remplie d’un liquide vitreux et noirâtre. Puis, l’officiant procède à l’éviscération abdominale par une incision sur le flanc gauche à l’aide d’une lame en silex ou obsidienne. Photo 1Photo 2. Il retire les intestins, le foie, les poumons et l’estomac. Il ne touche pas au cœur, organe privilégié, siège de l’intellect pour les Egyptiens qui, s’il a été bousculé par mégarde, est soigneusement remis en place après avoir été momifié. Parfois, est rajouté le scarabée du cœur Photo. Les viscères sont momifiés à part, puis bandelettés, placés dans les vases canopes, eux-mêmes placés dans un coffre Photo. Pour les momifications de moindre qualité, les organes sont remis en place dans le corps sous forme de paquets aux effigies des quatre fils d’Horus. La cavité abdominale, libérée de ses organes (on ne touche ni à la rate, ni aux reins, ni à la vessie) est nettoyée au vin de palme et rembourrée de sachets de natron et de linges. Toutes les humeurs ou tous les liquides qui s’échappent du corps sont soigneusement recueillis dans un petit bassin. Eléments constitutifs du cadavre au même titre que le reste des organes, ils sont enfouis, avec les linges utilisés, à proximité du cadavre. Les termes de Tikenou ou d’imy-out pourraient désigner, tous les deux, ces sacs blancs noués qui abritent les résidus de la momification. Certains ont été retrouvés à proximité de tombes, dont les plus célèbres sont ceux de Toutankhamon. Enfin, intervient le taricheute qui recouvre le corps de natron employé sous forme de cristaux liquides. La durée de ce salage au natron, 70 jours selon Hérodote, n’est peut-être pas aussi longue, ce laps de temps étant sûrement consacré à la durée totale de l’opération de la momification y compris le bandelettage. La dessiccation dure une bonne dizaine de jours puis le corps est porté dans une partie de la ouabet appelée per-nefer ou Maison de régénération. Là, les prêtres embaumeurs ou bandagistes, suivant les psalmodies des prêtres lecteurs qui récitent les formules magiques, habillent le cadavre. D’abord le corps, très desséché, est lavé puis oint d’huiles balsamiques destinées à l’assouplir. La cavité abdominale est comblée de tissus, de paille et l’incision est recouverte d’une plaque de cire ou de métal décorée de l’œil oudjat. Les orifices sont obturés, le visage maquillé et des yeux factices sont dessinés, le corps est coloré à l’ocre rouge, les doigts sont ornés de doigtiers en or (bien sûr pour Pharaon) et attachés à leur extrémité pour éviter la chute, parfois une perruque est posée sur le crâne. On plaque le bras des femmes contre le corps tandis que les hommes ont leur main ramenée sur le pubis. Puis on dépose un suaire sur le corps et l’on procède, à l’aide de bandes de lin fin, à l’enroulement des doigts, des orteils, de la tête, du thorax et des membres inférieurs. Des onguents sont répandus sur les linges pour une parfaite adhésion. La tête est un point d’attention privilégié, la fracture du cou au cours de ces différentes étapes étant fréquente voire souvent inévitable. Des amulettes, pilier djed, nœud d’Isis, scarabées, œil oudjat, sont déposées aux endroits stratégiques du corps dans le but de les protéger plus efficacement. Pour terminer, on applique un masque d’or sur le visage de Pharaon et, pour les simples mortels, un visage est peint sur le tissu ou sculpté dans une plaque de bois.
Chaque moment de la préparation du corps à l’embaumement est placé sous la surveillance de l’embaumeur divin, Anubis, représenté par un prêtre, le Supérieur des Mystères. Chaque phase de la momification et de l’emmaillotement est accompagnée de prières, de récitations précisant ce que les prêtres doivent accomplir. Voilà un extrait d’une de ces rubriques : « Après cela, après que le dos aura été placé dans l’onguent et sur l’étoffe, à la manière dont il était sur terre, garde qu’il ne se renverse sur sa tête tant que sa face et son gosier sont remplis de drogue parce que les dieux qui sont dans sa tête se déplaceraient. Place sa face vers le ciel comme elle était auparavant. »
La durée de 70 jours requise pour cette préparation, si elle a pu varier en fonction du type de momification choisi, n’est pas un hasard. Ce laps de temps a pu correspondre à des considérations astrologiques. L’étoile Sirius disparaît du ciel, en effet, pendant 70 jours pour réapparaître une fois revenues les inondations. L’embaumement de 70 jours, motivé symboliquement par la croyance, s’inscrit donc dans un processus de renouvellement et de régénération. Les Egyptiens attachent une grande importance à la conservation des corps mais tous n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un embaumement complet et de qualité. Les pratiques funéraires, réservées initialement à Pharaon et à la famille royale, puis aux hauts fonctionnaires et enfin largement diffusées dans toutes les couches de la société égyptienne, sont de qualités diverses, selon les moyens financiers de la famille. Au fil des siècles et, parallèlement à l’évolution technique de cet art qui atteignit son apogée à la XVIIIème dynastie et à son accessibilité par tous, la momification fut si intensive qu’elle se détériora rapidement, la quantité étouffant la qualité. Si bien, qu’à l’époque romaine, il arriva que l'on fasse macérer les cadavres dans du bitume bouillant pour gagner du temps. Certains corps seront retrouvés incomplets, ayant bien mal débuté leur voyage dans l’Au-delà qui la tête brisée, qui un bras manquant, qui avec deux bras droits ou deux pieds gauches !
LES FUNERAILLES
Une fois terminée, la momie est rendue à la famille. La première phase des funérailles consiste à se rendre jusqu’à la tombe. Le cortège composé du traîneau supportant la momie et hâlé par des bœufs, de membres de la famille, de pleureuses professionnelles, d’amis, de serviteurs, mais aussi du matériel destiné à la tombe sous forme d’objets de la vie quotidienne ayant servi au mort (lit, chaises, coffres, objets de toilette, vaisselle,…), tout ce petit monde, donc, doit traverser le Nil. Cette traversée est la conséquence de l’attribution bien spécifique des nécropoles sur la rive gauche du fleuve, la droite étant réservée aux vivants. Cette topographie apparaît clairement établie au Nouvel Empire avec la ville de Thèbes très représentative de ce schéma. Toutefois, dans d’autres régions du pays, il n’est pas nécessaire d’effecteur ce périple fluvial, nécropole et habitat étant établis sur la même berge. La barque rappelle seulement le pèlerinage que tout Egyptien est censé faire jusqu’aux lieux saints d’Abydos et de Bouto en référence au périple osirien. L’ambiance est fort bruyante : les pleureuses hagardes se frappent la poitrine s’aspergeant de la poussière du chemin, tandis que deux jeunes femmes en pleurs tiennent le rôle d’Isis et de Nephtys de chaque côté du cercueil, la population elle-même pouvant participer, au passage du cortège, à cette douleur très démonstrative. Arrivée devant la porte de la tombe, la momie est placée debout. Des prêtres revêtus de peau de panthère, les prêtres-sem et un prêtre appelé le fils qu’il aime, jouant le rôle du fils d’Osiris, Horus, portent à la bouche de la momie divers instruments dont une sorte d’herminette censée redonner au défunt le souffle de la vie et l’usage de ses sens perdus. C’est la Cérémonie de l’Ouverture de la Bouche, rite très ancien et souvent représenté sur les vignettes du Livre des Morts. Cette même cérémonie est effectuée, dans la Maison de l’Or, sur une statue tout juste achevée par les sculpteurs afin de lui donner vie et de lui procurer une partie de l’étincelle divine. A partir de ce moment, tous les éléments constitutifs de la personnalité humaine sont censés rejoindre leur support, la momie. Le corps peut alors rejoindre la chambre funéraire, dans la tombe, tandis que le ba vient à sa guise, ici et là. Le corps repose dans un sarcophage qui devient en quelque sorte, au même titre que la tombe, la nouvelle demeure du défunt. L’aspect des sarcophages évolua au cours des siècles : simples cuves rectangulaires dépourvues d’ornement, puis sarcophages richement décorés, en bois puis magnifiquement réalisés en quartzite rose ou en or, sertis de pierres précieuses pour les Pharaons, emboîtés les uns dans les autres, ils se différencièrent notamment au Nouvel Empire où ils prirent la forme du corps humain (sarcophage dit anthropoïde) en relation avec la diffusion très importante à cette époque du culte osirien. De l’intérieur du cercueil, le défunt peut observer le monde par des yeux gravés sur les parois et, s’il le désire, il peut aussi sortir par la fausse porte pour se rendre dans les dépendances de sa tombe Photo. Sous le couvercle est peinte une représentation de la déesse Nout arquant son corps fragile sur un fond étoilé. Auprès des sarcophages sont déposées des petites figurines à l’image du défunt appelées selon les époques shaoubtis ou oushebtis Photo. Leur fonction évolua de même : au départ, simples représentations du défunt, elles devront par la suite effectuer toutes les tâches que le mort se doit d’accomplir dans l’Autre monde et plus précisément les travaux agricoles. Ces répondants, figurations du mort, tiennent contre leur poitrine le symbole ankh et le pilier djed et doivent répondre à chaque injonction du défunt par la formule Me voici ! Leur nombre a pu varier considérablement et l’on a dénombré jusqu’à 365 oushebtis soit un pour chaque jour de l’année. L’Egypte est avant tout un pays essentiellement agricole qui tire sa richesse d’une bonne répartition des récoltes. Dans l’Au-Delà, donc, qu’il soit simple fellah ou haut dignitaire, tout Egyptien se doit de participer à l’équilibre voulu par les dieux et orchestré par Pharaon. Il ne faut pas seulement croire que ces statues soient ainsi placées afin d’accomplir les travaux à la place du défunt. Elles sont là aussi pour lui donner les moyens de mener à bien son entreprise. En fait, quel que soit son rôle joué dans la société des vivants, même s’il a atteint les sommets de la hiérarchie, tout Egyptien doit de participer aux travaux des champs qui assurent la survie et le renouvellement constant du pays.
A côté du sarcophage, on place aussi les fameux vases canopes, au nombre de quatre, et contenant les viscères momifiés du défunt. Des victuailles et des offrandes alimentaires sont aussi déposées, indispensables provisions pour un voyage confortable. Dans une tombe de la IIème dynastie, à Saqqarah, des restes de repas funéraire ont été retrouvés, composés de pain, de poissons, de volailles, de fromages et de gâteaux. Au Nouvel Empire, ces offrandes, dans certains cas, sont momifiées et placées dans des boîtes de bois. On a retrouvé certains de ces aliments ainsi conservés dans la tombe de Toutankhamon. Ces représentations doivent prendre le relais des offrandes en nature afin que le défunt ne manque jamais de rien. A partir du Moyen Empire, on peut voir, déposées dans les tombes, des représentations de femmes nues accompagnées d’un enfant, faites en bois, en pierre ou en faïence. Et, bien sûr, dans le cas de Pharaon, le mobilier funéraire prend des proportions faramineuses en fonction de son rôle royal et sacerdotal, les tombes des particuliers, quant à elles, révélant un mobilier plus en rapport avec la vie quotidienne
LE VOYAGE DANS L AU DELA
Une fois achevés tous les rites de la momification, le défunt peut enfin prétendre au Royaume d’Osiris. Cependant les portes de ce royaume ne s’ouvrent que si certaines conditions sont réunies. La première, et l’une des plus évidentes, est l’assurance d’avoir mené de son vivant une existence droite, juste et conforme à la Maât. Quelle que soit l’échelle sociale sur laquelle on se situe, la Maât doit être respectée chaque jour dans le respect de l’autre, dans le soin apporté à son prochain, dans l’aide apportée au plus faible, dans le culte des dieux et des offrandes, dans la vénération des parents et l’éducation professée pour les enfants. Tous ces préceptes de sagesse, ces règles de comportement sont regroupés dans des livres que tout Egyptien se doit, dans la mesure de ses moyens bien sûr, d’avoir consultés. Le respect de toutes ces consignes doit bien entendu faciliter son ultime voyage vers les confins du monde. Le défunt est d’abord confié au dieu Anubis qui devient son guide et son soutien jusqu’au tribunal divin. Le défunt et le dieu prennent place à bord d’une barque qui pénètre au cœur des enfers. L’eau est agitée par les soubresauts du terrible serpent Apopis tandis que les berges grouillent d’animaux terrifiants et monstrueux prêts à les engloutir. Arrivés sains et saufs aux limites de la Douat, il faut pour en sortir, franchir les sept portes gardées par des divinités et passer les dix pylônes où chaque dieu maître du pylône lui révèle son nom secret.
Après le dernier pylône, le défunt arrive enfin dans la Grande Salle du Jugement. Epuisé, toujours aidé par Anubis, il gravit une pyramide au sommet de laquelle l’attendent les couples des origines : Shou, Tephnis, Geb et Nout. Au pied du roi Osiris la balance de la Vérité est prête pour la pesée de l’âme, plus précisément du cœur (psychostasie). Par des phrases rituelles, le cœur en question prouve qu’il n’a jamais fait le mal : " J’ai donné du pain à l’affamé, j’ai donné à boire à celui qui avait soif, j’ai vêtu celui qui était nu, j’ai fait passer le fleuve à celui qui n’avait pas d’embarcation, j’ai enseveli celui qui n’avait pas d’enfant. " Puis Anubis dépose le cœur sur un des plateaux de la balance et sur l’autre met la plume de Maât, déesse de la Vérité. Le dieu Thot note toutes les étapes tandis que de la terre surgit le monstrueux Amenuit, à la fois hippopotame, lion et crocodile qui se tient prêt à dévorer l’âme fautive. Si le cœur, siège de la conscience et de l’intellect pour l’Egyptien antique, est plus léger que la petite plume, l’âme ainsi justifiée est sauvée pour l’éternité. Alors peut commencer la vie dans les Champs d’Ialou, où le défunt, enfin heureux, retrouve tous les siens et participe à la vie éternelle.
LE CULTE FUNERAIRE
Les préparatifs de la tombe ainsi que l’assurance d’un embaumement décent ne sont pas les seules préoccupations de l’Egyptien quant à sa vie dans l’Autre Monde. Un rituel qui s’inspire, sur une plus petite échelle, des grands rituels destinés aux dieux, se développa dès l’époque prédynastique instaurant un culte funéraire voué à perpétuer le nom du défunt parmi les vivants. La coutume veut que les rites quotidiens soient assurés par le fils aîné de la famille. Mais la pratique établit que les offrandes et les prières destinées au mort dépendent de l’attachement d’un service de prêtres, engagés selon les ressources et les revenus du défunt. Le personnel sacerdotal est appelé les prêtres du ka, et après le Nouvel Empire, verseurs d’eau en raison de leur fonction la plus courante qui est de verser des libations d’eau pour rafraîchir le mort. Bien sûr, il faut des revenus suffisamment élevés pour pourvoir les autels d’offrandes et la concession funéraire accordée par Pharaon à ses meilleurs dignitaires peut être une récompense hautement appréciée. Les offrandes demeurent sur l’autel le temps que le défunt s’en délecte puis les officiants se chargent de les récupérer pour leur propre compte. Avec le temps, le culte funéraire eut quelque propension à devenir plus irrégulier, et c’est pourquoi, les Egyptiens imaginèrent le subterfuge de l’image pour contrecarrer ce manque d’assiduité. A l’entrée des tombes, dans les chapelles funéraires, on trouve dès lors de véritables menus comportant un texte et une décoration qui doivent inciter les visiteurs à laisser des offrandes ou à verser de l’eau comme le font les prêtres. Par la magie de l’image et du verbe prononcé, le défunt peut ainsi être assuré de voir son souvenir perdurer. Ces Appels aux Vivants qui sauvent les morts de l’oubli proposent en échange, à ceux qui, lors de leur passage, ont prononcé le nom du défunt et lui ont offert quelque subsistance, une promesse de vie future. Le défunt en guise de remerciement s’engage à intervenir en faveur de l’officiant auprès des dieux. En revanche, celui qui s’aventure à profaner la tombe, peut s’attendre à recevoir les foudres de son occupant. Les liens entre les vivants et les morts demeurent très étroits et, dans l’esprit de l’Egyptien, le mort peut à tout moment revenir dans le monde des vivants animé de bonnes ou de mauvaises intentions. Dans la plupart des cas les rapports entre vivants et morts sont simples et se font par le truchement de suppliques que l’on appelle lettres aux morts (appelées ainsi par Gardiner et Sethe) et qui sont attestées dès l’Ancien Empire. Déposée dans la tombe, la lettre, se voulant un gage de piété, supplie très souvent le mort d’intervenir contre des esprits maléfiques nuisant à l’équilibre de la famille. Les questions qui motivent ces lettres sont diverses : problème d’héritage, de fautes, de fécondité, d’ennuis avec les fantômes, plaidoiries en faveur de l’auteur. Souvent enjôleuses, tantôt indignées, elles ont toutes pour finalité de se concilier les bonnes grâces du défunt. Bien sûr, les vivants ne s’attendent pas à recevoir de lettre en retour, mais ils espèrent seulement voir le mort se manifester en rêve pour exaucer leur vœu.
LES TEXTES FUNERAIRES
Les rites de la momification ont résolu, dans un premier temps, l’aspect matériel du voyage dans l’Autre Monde et le corps convenablement conservé peut être assuré d’un bon départ vers cette nouvelle existence. Cependant, dans le monde complexe et somme toute terrifiant qui l’attend, le défunt doit se munir de tout un attirail de textes et d’hymnes visant à assurer sa protection et sa régénération. La société qu’il vient de quitter lui a offert quantité de biens matériels et moraux qu’il faut, dans la mesure du possible, tenter de reconquérir par le biais de formules magiques adaptées. Initialement codifiés à l’intention du roi, ces textes se sont peu à peu vulgarisés afin que chacun puisse en profiter malgré quelques différences inévitables de degrés entre les hommes Les textes des Pyramides
Le roi, seul, possède en tant que dieu sur terre, le droit de prétendre à une survie sans fin. Tout d’abord en construisant un tombeau inviolable, en embaumant son corps, puis en entretenant un culte à son image. Ainsi, dès l’Ancien Empire, dans les chambres souterraines des pyramides royales depuis le règne du roi Ounas jusqu’à celui de Pepi II (et aussi dans certaines pyramides de reines Egyptologie), l’on grava de longues inscriptions de nature et d’origine variées qui constituent à ce jour le plus fameux corpus religieux de l’humanité Photo. Ces textes comportent des rubriques énonçant les gestes à accomplir pendant les funérailles du Pharaon aussi bien que des hymnes à réciter en hommage aux dieux, des offrandes à proposer et des formules magiques à réciter contre des animaux dangereux. Apparemment, tous ces textes présentent très peu d’unité et l’on suppose qu’il pourrait s’agir de textes à l’origine indépendants et regroupés ici selon un schéma qu’il reste encore à établir. Il est certain qu’ils ont une fonction liturgique destinée à assurer le bien-être de Pharaon dans l’autre vie et chaque emplacement de ces formules dans le tombeau doit correspondre à une étape essentielle de l’accession du roi au ciel.
Les tombeaux des particuliers, construits dans l’entourage même de la pyramide royale, sont, quant à, eux dépourvus de textes religieux de cet ordre. Les préoccupations des serviteurs du roi tendent davantage vers la représentation des offrandes alimentaires et l’énumération des titres qu’ils ont portés et de la carrière qu’ils ont menée pour leur Pharaon. Les Textes des Sarcophages
La révolution qui précipita la chute de l’Ancien Empire et qui ouvrit l’ère troublée de la Première Période Intermédiaire entraîna dans son sillage la perte des prérogatives royales à l’immortalité. Les rites secrets furent divulgués et le peuple voulut posséder à son tour ces privilèges réservés au roi. Cependant une réserve est de mise selon les propos fort justes de René Herbin : "Si un certain effritement de l’idéologie royale et la montée en puissance d’une cour et de chefs régionaux avides de prérogatives expliquent la perte d’un monopole naguère réservé au souverain, la propagation des nouveaux textes est rendue possible par la statut social élevé de ceux qui les adoptent. En cela, parler de démocratisation des rites funéraires à propos de cette évolution a quelque chose d’abusif car le petit peuple n’en a jamais tiré profit. "
En effet, les Textes des Pyramides présentent pour les particuliers bien des points qui ne leur conviennent pas, notamment tout ce qui touche à la royauté. Ainsi, on vit apparaître de nouveaux textes inspirés des Textes des Pyramides, mais modifiés par toutes sortes de corrections et d’additions, peints sur les cercueils des défunts, noirs pour les parties récitées, rouges pour les rubriques : les Textes des Sarcophages. De nombreuses sections sont consacrées à la sécurité matérielle du défunt qui ne doit pas manquer de nourriture, d’autres expliquent comment se défendre des forces hostiles rencontrées dans l’autre monde, d’autres encore mettent en scène les dieux funéraires Osiris et Anubis, chargés de protéger le défunt. D’ailleurs, tout comme dans les Textes des Pyramides, et comme le roi mort de l’Ancien Empire, le défunt prétend à devenir lui aussi un « Osiris » et n’hésite pas à s’identifier aux divinités. Le Livre des Morts
Au Nouvel Empire, un ouvrage complètement différent fut mis à la disposition des simples mortels. Appelé improprement Livre des Morts selon l’appellation de Lepsius, les Egyptiens l’appellent le Livre de Sortir au Jour. Le support matériel n’est plus seulement les parois des tombes ou des sarcophages mais le papyrus présenté sous forme de rouleaux où sont recopiées les formules magiques illustrées de vignettes enluminées. Ces papyri sont certes onéreux mais accessibles à tous. Ce livre sacré écrit par le scribe Ani se présente sous l’aspect de formules réparties en chapitres et précédées d’un titre. Des illustrations accompagnent les textes et peuvent parfois se substituer à eux. L’ouvrage définitif comporte 165 chapitres et n’ayant pas été unifiés avant la fin de l’Egypte pharaonique, les rouleaux présentent quelques variations quant à l’ordre des formules. Toujours est-il que ce recueil, comme son nom d’origine l’indique, doit permettre au défunt, par des moyens magiques, de se déplacer librement dans la Douat. Les divers paragraphes énumèrent tous les procédés susceptibles de permettre au défunt d’atteindre l’immortalité, depuis les procédés matériels et purement superstitieux jusqu’à la recherche de la pureté morale. Prières, conjurations sont mises à sa disposition pour qu’il puisse affronter les dangers dans les meilleures conditions. Autres textes funéraires
Cependant, comme si cela n’est pas suffisant, des recueils nouveaux viennent enrichir ces viatiques dès le Nouvel Empire.
Ces nouvelles compositions, élaborées à Thèbes, peintes ou gravées sur les murs des hypogées royales racontent la destinée solaire du roi, décrivent les différentes parties de l’autre monde et les portes à franchir. Le Livre de ce qu’il y a dans l’Hadès décrit chacune des douze heures que parcourt Rê illuminant les cavernes de la nuit.
Le Livre des Portes commente les représentations compliquées des êtres et des monstres qui hantent le sombre royaume.
Le Livre des Cavernes contient les discours de Rê.
Les Litanies du Soleil énumèrent les 75 formes du dieu.
Le Livre de l’Amdouat décrit le royaume des morts et commente les heures de la nuit qui voient les diverses transformations de Rê.
Enfin, un autre type de guide dont l’existence va à peine durer un siècle se présente sous la forme de documents appelés Papyrus mythologiques. Intégrant des textes d’autres guides, ils se veulent plus axés sur l’évolution personnelle du défunt et le discours à la première personne l’emporte sur la narration descriptive
LA MAGIE
Tous les textes funéraires sont destinés à assurer une fin heureuse et peuvent donc se ranger parmi les écrits magiques. Dans la pensée égyptienne, la magie, heka, est une force divine, légitime, produite par le créateur. Le mot magie n’a aucune connotation péjorative et son emploi permet d’entretenir et de protéger la vie. Le prêtre magicien est l’interprète des dieux mais il ne peut pas transformer la matière pour un quelconque profit. De même, Pharaon, malgré son extraordinaire pouvoir sur les êtres et les choses, n’est pas un magicien : serviteur de la Maât, il n’est qu’un interlocuteur entre les dieux et les hommes pour qu’au travers de lui, se manifeste le pouvoir des dieux. Dans le mode de pensée des Egyptiens si l’on se sert de magie c’est surtout pour se protéger. Tout ce qui est nuisible est considéré comme la manifestation d’une entité hostile. Ainsi faut-il se prémunir au moyen de la magie de la puissante Sekhmet dont la force terrible fait monter les fièvres ou du terrifiant Seth, assassin de son frère, considéré comme le diable. Pour les Egyptiens, les ennemis qui suscitent des troubles sont la manifestation du mal, isefet. Pour rétablir l’équilibre, il faut faire appel aux rites qui rétablissent la Maât. L’Egyptien a pu être considéré comme un faiseur de fétiches : la statue rituellement est l’être ou la chose représentée, de même que dans l’écriture le simple fait de mutiler la représentation hiéroglyphique d’un serpent suffit pour le rendre inoffensif. Les symboles hiéroglyphiques assurent à leur détenteur le pouvoir qu’on leur attribue : l’oudjat donne la santé, le djed la durée. Les talismans et autres amulettes sont très prisés, les bijoux, colliers, bracelets composés de petits nœuds enfilés les uns à la suite des autres, posés sur le corps des vivants et des mort « nouent » la vie et l’empêchent de quitter le corps. Les couleurs jouent un rôle essentiel : le vert assure la jeunesse et la régénération, le rouge évoque le sang d’Isis.
Dans le saint des saints (naos) des temples se déroulent des opérations magiques et cultuelles. Intimement mêlés, les rites religieux et magiques accomplis par les prêtres doivent animer la statue du dieu, la laver, la recouvrir d’onguents parfumés, l’habiller et la nourrir. Chacun des gestes de purification est accompagné de formules spéciales conférant aux gestes un pouvoir encore plus grand. A la fin du rituel, lorsque la statue a été replacée dans son tabernacle, l’officiant du culte a assuré le triomphe du Soleil sur les ténèbres.
Parfois pour trouver une explication à un événement troublant, le magicien utilise un procédé d’analogie où la même situation s’est présentée dans le monde des dieux. Le patient étant rassuré par le fait que cet événement a trouvé un heureux dénouement peut être guéri de son mal. La magie peut être exercée par tous et n’est pas considérée comme une pratique maudite tirant son efficacité d’un pacte signé avec les forces des ténèbres. Et l’on comprend ainsi que religion et magie sont étroitement imbriquées même si quelques formes aberrantes ont pu être constatées dans les moments les plus sombres de l’histoire.