Durant toute la période du Nouvel Empire, la Vallée des Rois fut un lieu en perpétuel mouvement. Et malgré l'atmosphère sévère qui s'échappe de cet univers minéral, le bruit des pioches et les appels des ouvriers résonnent tôt le matin pour s'éteindre en fin de journée quand la nuit revêt son sombre manteau. Ici, c'est toute une communauté de carriers, de tailleurs de pierre, de maçons, de dessinateurs et de peintres qui s'active à tour de rôle avec efficacité et diligence. Quand la triste nouvelle du décès de Pharaon parvient au Village, les artisans, malgré le chagrin qui les accable, accueillent la funèbre nouvelle avec un certain soulagement car c'est pour eux le signe de la reprise de leurs activités, activités suspendues d'autant plus longtemps que le règne du défunt fut long dans le temps. Sa tombe a pu être achevée, peaufinée, embellie, elle est prête à recevoir la royale momie, le devenir post mortem de Pharaon est ainsi assuré mais les artisans de pa demi sont, en quelque sorte, au chômage technique.
Dès que le Pharaon successeur est monté sur le trône, l'une de ses premières préoccupations, dans les tous premiers mois de sa royauté, se porte tout naturellement vers le vaste projet qui occupera une grande partie de son règne : choisir, dans un premier temps, au sein de la Vallée des Rois, le site approprié qui abritera sa tombe ; puis, prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour que le creusement et la décoration s'effectuent dans les meilleures conditions possibles et dans les délais les plus courts. Il est bien évident que les premiers rois choisissent les meilleurs emplacements, les plus discrets et les plus cachés, là où la roche se prête le plus volontiers au maniement de la pioche et du burin. Pharaon n'hésite pas à se déplacer pour choisir lui-même le site adéquat, accompagné de son vizir (à partir de l'époque ramesside uniquement, sous la dynastie XVIII le souverain se contente de nommer un chef de travaux qui surveille le chantier) et d'une commission spéciale qui approuvera le choix royal.
Peu à peu, au fil des règnes, la Vallée se trouve bien évidemment fort encombrée. Malgré la détention de plans sur papyrus assez précis localisant les tombes déjà existantes, il n'est pas rare qu'au cours du creusement, l'Equipe un peu découragée mais point étonnée débouche sur une tombe voisine ou abandonne sa progression en raison du mauvais état de la pierre comme ce fut le cas pour Ramsès III. Mais une fois le site choisi, une fois les plans tirés, le creusement s'effectue, vaille que vaille et mobilise en moyenne une quarantaine d'hommes. Certains Rois n'hésitent pas à penser plus grand et engagent sur le terrain quelque soixante, voire cent vingt ouvriers en permanence. Ainsi peut-on apprendre sur un ostracon retrouvé que Ramsès IV commanda sa tombe un peu tardivement, au cours de l'an II de son règne :
" An II, deuxième mois de la saison de l'Inondation, jour 17. Le vizir Neferenpet arriva à Thèbes en compagnie des fonctionnaires Hori et Amon-Kha…, ils se rendirent à la Vallée des Rois pour chercher un lieu où creuser la tombe de Ramsès IV "
Voir ici l'organisation du travail des ouvriers.
Bien sûr, la durée de la tâche dépend aussi étroitement de la taille de la tombe et du décor souhaité mais l'on estime à un ou deux ans le creusement proprement dit. Quand celui-ci est suffisamment avancé, le travail peut se diversifier et, si le percement continue encore plus loin dans les entrailles de la terre, les plâtriers commencent à préparer les parois pour les dessinateurs et les peintres.
Tout comme celui de ses ancêtres, le tombeau de Ramsès II s'ouvre sur le flanc de l'ouadi et lorsque le Pharaon distingue enfin l'ouverture béante qui mène au cœur de son tombeau, il a le plaisir de constater que les travaux sont déjà bien entamés. De gros blocs de calcaire sont dégagés, réduits le plus possible afin d'être extraits facilement en les faisant rouler hors de l'excavation. L'extraction se fait à l'aide d'un pic en cuivre ou de ciseaux en bronze qui s'émoussent rapidement au contact de la roche dure souvent parsemée de fragments de silex. Ces outils, propriétés de l'Etat, sont précisément comptabilisés par les scribes, puis ils sont rendus au fondeurs de cuivre qui les repassent au creuset et leur redonnent leur forme initiale.
Les gravats et les éclats de pierre répandus au fur et à mesure du percement sont déblayés à l'aide paniers en cuir ou de couffins en osier, puis étalés sur le sol devant la tombe. Photo Ce sont ces éclats de calcaire, plats et lisses, nommés aussi ostraca, qui servirent de supports aux écrits des ouvriers et des scribes, aux dessins furtifs des artisans qui y déposent notes de travail, listes de personnel, esquisses ou premiers essais.
Tout comme les tailleurs de pierre et les carriers poursuivent leur avancée, les plâtriers commencent à enduire les parois et les plafonds de la future tombe d'un enduit de gypse et de chaux afin de masquer les inégalités et rendre ainsi la surface aussi plane que possible.
Une fois cette tâche accomplie, entre en scène le dessinateur ou scribe des contours : avec une grande habilité, il commence à tracer sur les murs les textes religieux qui content la course solaire du grand dieu Rê auquel Pharaon défunt est identifié. Hiéroglyphes et dessins sont dessinés à l'encre rouge dans un premier temps, ils seront corrigés au trait noir par le dessinateur en chef dont le souci est de vérifier la perfection du travail accompli.
Puis, un autre corps de métier prend le relais, les talentueux sculpteurs qui gravent textes et dessins à l'aide d'un burin en bronze. Deux techniques peuvent être utilisées : la méthode du bas relief pour les tombes de la dynastie XIX, puis relief dans le creux à partir de Merenptah. Enfin, ce sont les peintres qui achèvent la décoration préparée par les dessinateurs et les sculpteurs. Ce sont eux qui, par le large éventail des couleurs mises à leur disposition, vont animer l'ensemble pictural. Toutes les couleurs sont obtenues à partir de pigments naturels : le carbone produit le noir, l'ocre jaune produit le jaune, l'azurite offre le bleu, l'ocre ou l'oxyde fer propose le rouge, le carbonate ou le sulfate de calcium préside au blanc et enfin la malachite produit le vert. Bien sûr, ces divers minéraux peuvent être harmonieusement combinés pour élargir encore plus la palette des couleurs.
Cependant, certaines contingences, comme le décès prématuré du Roi, contraignent les ouvriers à abandonner la décoration détaillée de la tombe pour la rendre plus rapidement disponible après les funérailles royales. Ce fut le cas pour Ramsès I dont le règne très bref imposa justement la seule mise en peinture de son hypogée. Certaines tombes resteront malheureusement inachevées, certaines sections ne seront jamais terminées : les forces sont mobilisées pour la confection du mobilier funéraire, le délai imparti à l'embaumement ne dure que soixante-dix jours, il faut faire vite…
Ramsès s'engage dans le long corridor, son cœur bas un peu trop vite à son goût. Plus il avance, plus l'air se raréfie, plus la chaleur devient suffocante et surtout, étrange impression à cette heure de la journée, la lumière décline rapidement.
Et en effet, plus le creusement progresse, plus la lumière du jour se fait rare. Pour éclairer leurs pas et leurs travaux, les ouvriers ont donc recours à un éclairage artificiel mais efficace. Ainsi place-t-on dans des petits bols de terre cuite une ou plusieurs mèches de tissu torsadé, enduites de graisse ou d'huile, généralement de l'huile de sésame. Et afin d'éviter un enfumage qui pourrait endommager les parois dessinées, on ajoute du sel à la composition. Toute comme le reste des outils mis à la disposition des deux Equipes, une comptabilité soigneuse et précise des mèches distribuées par les temples royaux est tenue par des scribes scrupuleux.
"Premier mois d'hiver, jour cinq, consommation de mèches pour cette journée : à droite six, à gauche six faisant douze pour la matinée ; à droite six, à gauche cinq faisant onze pour l'après-midi, total vingt-trois."
Mais il n'est pas impossible que ces mèches soient aussi confectionnées par les ouvriers eux-mêmes auxquels on fournit le tissu nécessaire.
L'architecture des sépultures obéit dans l'ensemble au plan des tombes précédentes même si l'on observe quelques variantes propres à chaque Pharaon qui eut à cœur de modifier quelque peu l'agencement des salles. Cependant, et nous le verrons plus précisément dans le chapitre consacré à l'étude des tombes de la Vallée des Rois, on observe une lente évolution. Au tout début du Nouvel Empire, au cours de la dynastie XVIII, les tombes sont creusées selon un plan coudé et l'on observe une rupture d'axe très significative comme dans les tombes de Thoutmosis III ou Amenhotep II. Probablement doit on interpréter cette rupture comme symbolisant la complexité du chemin que le souverain doit parcourir pour atteindre l'Au-delà ! Le changement d'orientation se fait après le passage d'un puits plus ou moins profond dont on a voulu croire pendant un moment qu'il était un piège pour d'éventuels voleurs alors qu'il pourrait bien s'agir d'un stratagème destiné à détourner les eaux de pluie, doublé d'un symbole rituel (évocation du Noun) qui assimile ce trou béant au chemin d'accès aux domaines chtoniens de Sokar, divinité funéraire associée à Ptah et Osiris.
Puis, après l'épisode amarnien, au cours de la dynastie XIX, la déportation de l'axe se fait moins sensible : dans la tombe d'Horemheb on observe juste une légère déviation, toujours faite à partir du puits et qui permet encore d'attribuer l'axe supérieur au dieu solaire Rê-Horakhty tandis que l'axe inférieur qui s'enfonce profondément à partir de la première salle à piliers est le domaine réservé du dieu Osiris.
Sous la dynastie XX, les architectes prennent le parti de simplifier notablement le plan de la tombe selon un axe unique et rectiligne privilégiant en quelque sorte l'aspect solaire du parcours vers l'Au-Delà.
Quant au répertoire iconographique, là aussi une lente évolution se dessine tout au long du Nouvel Empire : sous la dynastie XVIII, seules les parois de la chambre sépulcrale, l'antichambre et la salle du puits sont décorées. A partir de l'ère ramesside, c'est l'ensemble de la tombe qui est décoré associant textes religieux et iconographie. Horemheb introduit dans son répertoire un nouveau texte funéraire, le Livre des Portes qui décrit la course nocturne de la barque solaire. Le père de Ramsès II, le grand Seti I innove en la matière et déploie sur les murs de son hypogée les textes magiques des Litanies du Soleil tandis que d'autres recueils funéraires se déplacent au sein de la tombe.
Dans l'ensemble, tous les recueils funéraires que l'on trouve, tracés harmonieusement sur les parois de l'hypogée traduisent le parcours du soleil dans le monde souterrain après qu'il ait puisé des forces nouvelles au cœur de la nuit.
Ainsi, l'architecture même de l'ensemble qui découpe la tombe en une zone supérieure solaire et une zone inférieure osirienne, associée au décor solaire symbolique donne l'impression d'un mouvement perpétuel d'une lumière sans cesse renaissante, modèle suivi par Pharaon dans sa quête d'immortalité.
Bien évidemment, tous les Pharaons n'eurent pas le malheur de disparaître avant l'achèvement de leur tombe. Lorsque le règne semble infini, comme celui de Ramsès II, il n'est pas improbable que les ouvriers aient été conviés à se déplacer pour travailler aux tombes de la famille royale, dans la Vallée des Reines par exemple. Malheureusement les renseignement nous font terriblement défaut à ce sujet même si la tombe de Nefertari, la Grande Epouse de Ramsès II, une des plus belles tombes de Ta Set Neferou, est certainement digne du talent des ouvriers de pa demi. |







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