"L’homme y passe
à travers des forêts de symboles
qui l’observent avec des regards familiers"

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Notre felouque s’éloigne lentement des berges de Thèbes Orientale.
Les échos de Louxor la moderne se font de plus en plus imperceptibles.
Ici, le fleuve que nous traversons dans sa largeur pour rejoindre la rive des morts
s’étend sur près d’un kilomètre et il déroule ses eaux tranquilles et paisibles entre les deux rives verdoyantes.
Pas de pont pour enjamber le fleuve majestueux,
seuls bateaux, barques ou felouques, comme leurs lointains ancêtres de jadis transportent touristes, autochtones, bétail et marchandises d’un point à l’autre du fleuve.
Rien n’a vraiment changé sous les cieux égyptiens :
la foule est un peu plus bruyante parce q’un peu plus nombreuse,
les barques légères et silencieuses de papyrus ont laissé la place aux bateaux à moteur ronflants et pétaradants
mais la joie de vivre est la même, l’enthousiasme et la gentillesse sont du voyage,
seul importe le simple bonheur de l’instant que l’on goûte amoureusement à la vue du spectacle qui s’offre au regard.
L’indolence des eaux sereines nous berce et le chant harmonieux du passeur qui seconde les larges voiles blanches de son embarcation
par une pratique cadencée de la navigation à rames
nous enveloppe d’une douce torpeur que les clameurs de la cohue environnante n’arrivent pas à troubler.
Le charme opère vite, sur l’eau comme sur la terre et la magie de l’instant ne saurait nous laisser de marbre.
Fermons les yeux, laissons vagabonder notre imagination, les bruits sont là presque palpables, les chants des femmes, les cris des hommes gagnés par l’ivresse,
la musique des tambourins et des crécelles assaillent nos tympans, la chaleur se fait plus suffocante et lourde encore,
la Belle Fête de la Vallée bat son plein qui voit se promener d’un temple à l’autre de Thèbes Occidentale la longe suite du dieu Amon et de ses adorateurs.
La felouque accoste, mille acclamations l’accueillent, mille bousculades nous poussent vers l’avant.
Au loin, se profilent les montagnes rouges et dorées de la chaîne Libyque,
elles sont autant de remparts protégeant les temples funéraires des Pharaons,
ces grandioses Temples des Millions d’Années que nous allons découvrir du Sud vers le Nord au rythme de la procession divine conduite par la barque d’Amon.
POURQUOI UN CHATEAU DES MILLIONS D'ANNEES ?
Au Nouvel Empire, à la différence des Pharaons des périodes précédentes, les rois glorieux de cette époque fastueuse ne font plus ériger leurs temples funéraires à proximité de leurs tombes (voir Pyramides). Soucieux de protéger peut-être encore plus leur devenir post-mortem, redoutant à juste raison les pillages de voleurs sans scrupules attirés par les trésors inestimables dormant auprès de leur royale personne, ils décident de séparer tombe et lieu de culte. Ainsi, les temples funéraires signalés par les immenses pylônes au gré desquels flottent les bannières royales attirent le regard et la curiosité tandis que les tombes, discrètes et invisibles se cachent au plus profond de la montagne thébaine.
Notre langage moderne n’est pas des plus appropriés et le terme temple funéraire n’est pas vraiment en adéquation avec l’esprit qui a guidé la construction de ces monuments que les Egyptiens nommaient quant à eux Châteaux ou Temples des millions d’années.
Le temple égyptien était la maison du Dieu, le réceptacle de sa puissance et de son énergie créatrice. Les hommes avec à leur tête le Prêtre Suprême, Pharaon, devaient pour entretenir cette force divine lui rendre un culte quotidien ponctué de rites précis et immuables. Ainsi, au cœur du temple de Denderah, c’est la belle Hathor que l’on vénérait, à Karnak et Louxor, Amon, Mout et Khonsou recevaient les offrandes journalières des prêtres thébains.
Mais, bien plus encore que les simples temples, les Châteaux des Millions d’Années associaient au culte divin le culte même de la personne royale, Pharaon s’unissant harmonieusement au dieu pour un hymen encore plus réussi entre le terrestre et le céleste. La personnalité de Pharaon se trouvait ainsi auréolée d’une aura divine, la fonction royale s’en trouvait magnifiée et exaltée et ce pour le bien de l’Egypte et de l’univers. Medinet Habou de Ramsès III, le Ramesseum de Ramsès II sont des exemples frappants de cette valorisation exacerbée. Par conséquent, les Châteaux des Millions d’Années rentraient en service bien avant la mort des Pharaons et c’était de leur vivant qu’ils étaient véritablement opérationnels. Et l’on assiste ainsi, progressivement, à un échange de bons procédés où Pharaon partage avec Amon-Rê les honneurs de son temple funéraire tandis que le temple divin devient à son tour un lieu privilégié de culte royal.
L’architecture de ces temples a beaucoup évolué au cours des dynasties successives du Nouvel Empire. Au début, le temple se présente comme une construction à plusieurs terrasses comme le prouve le fabuleux temple de Hatchepsout à Deir el-Bahari. Puis, il devient l’élément principal d’un complexe entouré d’une enceinte de briques crues. On appelle ce nouvel ensemble un temenos, espace sacré composé de différents bâtiments cultuels ou autres. On y trouve des cours à portiques destinées aux fêtes et dont les murs sont gravés des représentations de la puissance divine et de la puissance royale, des salles aux offrandes, des chapelles-reposoirs de barques, le saint des saint où l’on vénère Amon, le temple funéraire proprement dit, des salles annexes, des magasins et souvent un beau palais royal.
C’est une véritable petite ville qui s’anime au cœur de ce complexe extrêmement bien structuré dépendant probablement de la rive orientale et du grand domaine d’Amon-Rê de Thèbes.
L’organisation fait loi : on trouve des prêtres de toutes catégories responsables du culte divin et de tous les aspects qui lui sont liés, un personnel varié chargé de l’intendance du temple ou de ses nombreuses dépendances, des magasins où officient de nombreux artisans, forgerons, boulangers, cuisiniers, cordonniers, tisserands, des bâtiments administratifs chargés de gérer les propriétés du temple et à qui incombait la lourde tache de rémunérer les ouvriers de Deir-el-Medineh. Mais le temple possède aussi de nombreuses dépendances dans toute l’Egypte et se pose comme un grand propriétaire foncier, gestionnaire de terres, de troupeaux et du personnel pour les faire fructifier et administrateur des biens et impôts qu’ils en retirent.
Le plus ancien des temples funéraires construits sur la rive occidentale est celui de Montouhotep II (Voir Pyramide Moyen Empire), la seule différence étant qu’il servit aussi de tombe au roi défunt. Puis les Pharaons successifs des dynasties suivantes du Nouvel Empire intégrèrent leur temple au sein de la Vallée Occidentale, à la lisière du désert et des terres cultivables. Essayons un peu de nous y retrouver !

UN SENS DE VISITE
Le point de départ de notre visite semble bien être celui de la Belle fête de la Vallée. En effet, cette fête très prisée des Egyptiens joua un rôle majeur dans la vie cultuelle de la région thébaine. Partant de Karnak, la procession divine composée d’Amon et de sa famille s’en allait visiter les lieux sacrés de la rive occidentale dans le but d’honorer les défunts et d’assurer leur survie éternelle. A l’origine, le sanctuaire de Deir el-Bahari dédié à la protectrice de la Vallée occidentale, la belle déesse Hathor, semble bien être le but de cette procession. Puis, au rythme du bon vouloir des Pharaons successifs qui érigent leurs temples funéraires le long de la frange désertique, le parcours processionnel est modifié, les Châteaux des Millions d’Années deviennent autant de stations où la procession fait halte, sortes de chapelles-reposoirs, avant d’atteindre le Château du Pharaon régnant. Nous aurions pu visiter ces temples en respectant leur ordre d’apparition dans le paysage égyptien : je préfère les découvrir au rythme de nos pas qui nous conduisent du Sud vers le Nord. D’autant plus que, symboliquement, le premier de ces temples qui dresse ses pierres vénérables sur notre parcours est celui de Medinet-Habou, œuvre de Ramsès III, construit sur le lieu mythique de la butte de Djême.
LA BUTTE DE DJEME
Comme nous l’avons déjà souligné dans le chapitre consacré à la création de l’univers et de l’Egypte selon les anciens Egyptiens (Voir Mythes et Légendes), un espace spécifique était consacré à la création du monde, à la toute première fois, lieu sacré variant avec les différentes cosmogonies. Cet endroit mythique des origines prenait le nom de butte en référence à la croyance d’Héliopolis : Rê-Atoum, le démiurge des origines avait subitement pris conscience de ses potentialités et, surgissant hors du Noun liquide et obscur, il avait créé la première terre ferme et lumineuse, la première émergence sur laquelle la vie allait naître. Achevant sa création en donnant naissance aux dieux, aux déesses et aux hommes, cette terre symbole devenait le lieu de sa régénération au sein duquel il se plongeait chaque nuit pour en ressortir au matin vivifié et régénéré.
Ainsi, à l'instar d'Héliopolis, Thèbes possédait elle aussi son lieu sacré des origines appelé butte de Djême et élevé au lieu dit de Medinet-Habou : c'est là qu'Amon le Caché, Amon l'Inconnaissable et plus particulièrement Amon Kematef Celui qui accomplit son temps s'était révélé pour la première fois. Chaque nouvelle année naissante, l'on avait coutume de porter la statue d'Amon en ce lieu afin de perpétuer les conditions éternelles du rythme du temps.
Il est temps de pénétrer au cœur du temenos de Medinet-Habou dominé par l'imposante masse du temple de Ramsès III.
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