Tout commence lorsque la saison
Akhet, la saison bénie de l’
Inondation, étend sur les rives du fleuve les prémices tant attendues de la crue providentielle. Les eaux du Nil se parent d’une couleur verdâtre tant elles sont chargées de plantes tropicales dérivant des hauts plateaux éthiopiens, c’est le Nil Vert qui sera suivi du Nil Rouge charriant le limon fertile. Le premier mois d’Akhet est le mois de Thot, point de départ de la nouvelle année égyptienne. Le peuple est en liesse, tout danger de sécheresse est à présent, en partie, écarté, on se congratule dans les villes et dans les campagnes, on s’échange des petits présents et, comme les eaux ont commencé à envahir la moindre parcelle terrestre, on en profite pour rendre visite aux parents éloignés, tantes, oncles, cousins ou simplement amis.

Dans les temples, et notamment à Karnak, les prêtes s’activent, allument des cierges et chantent des hymnes en l’honneur du grand événement. Dès l’aube, ils ont puisé de l’eau dans le fleuve sacré, ont rempli un beau vase d’or et d’argent de ce liquide miraculeux et l’ont béni de leurs prières avant de le distribuer au bon peuple.

Paophi, deuxième mois de ce début d’année voit se prolonger ces rites magiques. Venue du Sud lointain, la crue a maintenant tout envahi sur son passage, Karnak se dédouble dans ce beau miroir liquide aux reflets d’argent mais elle doit atteindre le vaste Delta, il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir, chemin qu’il faut encourager et inciter par des rituels bien précis. Amon le grand dieu se doit d’accomplir ces rites magiques et l’on prépare sa Sortie.
Le point de départ de la procession est le temple de Karnak. Dans leur sanctuaire, les divins participants ont été préparés, oints et habillés de leurs plus beaux habits de fête : Amon, Mout et Khonsou apparaissent sur leurs barques portatives plaquées d’or et d’argent, chacune de ces barques étant parées des attributs correspondants de chaque dieu : celle d’Amon est, bien sûr, la plus grande, la plus fastueuse, elle est ornée de deux têtes de bélier, une à la proue, l’autre à la poupe. La barque de Mout, plus petite, présente à ses extrémités la belle tête de la déesse coiffée de la dépouille d’un vautour. La barque de Khonsou, leur rejeton, est imagée par deux têtes de faucon. Avant le grand départ, Pharaon a présenté aux dieux des offrandes et des fumigations, gages des rites éternellement renouvelés.
Ces barques sont portées vers le quai d’embarquement, la foule crie sa joie à leur sortie du temple et les fumées d’encens noient quelque peu la magnificence de cette divine apparition.

Sur les eaux, flottent les trois bateaux qui vont transporter la famille thébaine jusqu’à l’Opêt méridional. Quel luxe ! Ces palaces flottants sont à la mesure des dieux qu’ils véhiculent : on y voit briller de mille feux, de mille éclats, les pierres les plus précieuses, turquoise, lapis-lazuli sans compter les tonnes d’or et d’argent qui alourdissent l’ensemble. Le périple fluvial des dieux thébains est des plus plaisants, tout est mis en œuvre pour leur plus grand confort et afin qu’ils ne soient point dépaysés, on a voulu que ce fabuleux équipage soit le modèle de leur maison divine.

Sur le canal, des haleurs tirent les barques sous les acclamations et les encouragements de la foule en joie. Au son des sistres et des crotales, des tambourins et des chants, les efforts de ces hommes de peine sont allégés et leur énergie décuplée. Et la procession se dirige vers Louxor. Sur les deux rives, ce ne sont que danses, jeux, musique, on boit, on fait ripaille, bref, le pays est dans l’allégresse…
Ce qui se passe, une fois au cœur du temple méridional, nous n’en savons pas grand chose : le mariage d’Amon et de Mout est sûrement consommé à ce moment là, mais chut, respectons l’intimité de nos dieux !

Les dieux séjourneront une vingtaine de jours dans leur résidence secondaire (onze jours sous les Thoutmosides, vingt-sept jours sous les Ramessides). Cependant, même les moments les plus heureux doivent prendre fin, Athyr, troisième mois d’Akhet vient de commencer, il faut penser au retour vers Kanak qui s’effectuera dans les mêmes conditions qu’à l’aller.

Mais bien plus qu’une fête populaire, la Grande Fête d’Opêt peut être comprise comme un message qui confirme le pouvoir royal sur le Double-Pays par l'intermédiaire du dieu Amon. Symboliquement, lorsque Amon prend possession du temple méridional, il affirme en quelque sorte son autorité sur le Sud d’où vient la crue, garante de la survie de l’Egypte. Le retour de la divinité vers le temple de Karnak, vers le Nord, donc, étend symboliquement son pouvoir jusqu’au Delta lointain, comme l’ont fait les eaux salvatrices qui, au terme de leur course se sont jetées dans la Très-Verte. Dans l’esprit du peule égyptien des temps actuels, le folklore local a souvenance des ces rites anciens et, chaque année, à Louxor, des cérémonies ont lieu, de joie et d’allégresse, à la seule différence qu’Amon a laissé la place au saint musulman local, Abou el Haggag.

De très beaux reliefs datant du règne de
Toutankhamon, d’Horemheb et de
Ramsès II illustrent dans le détail le déroulement de cette procession qui unissait dans une même liesse, les nobles, les grands, les dignitaires au petit peuple, aux chanteurs et danseurs. On peut y voir le halage des barques divines, la longue file des bœufs gras destinés aux tables d’offrandes, les musiciens et acrobates dans l’exercice de leur art, etc.
Si la Grande Fête d’Opêt est la plus populaire de touts les fêtes égyptiennes, elle n’est pas la seule occasion de se réjouir. Il nous reste encore à célébrer la Belle Fête de la Vallée.