Vous êtes à l ankh
Introduction, un règne d'exception
Avant le règne d'Akhenaton
Amenhotep III et l’influence amonienne
L’enfance d’Amenhotep IV
Pendant le règne d'Akhenaton
L’accession au trône
L'innovation fondamentale d'Amenhotep IV
Un symbole qui devient Révolution
Les autres innovations d'Amenhotep IV
Un exil nommé Amarna
Portrait d’une reine énigmatique
Album Les enfants du Soleil
L'accession au trône
Dépassons cette période mal définie, corégence ou pas, Amenhotep III vient de s’éteindre, il est inhumé dans la Grande Prairie, la belle Vallée des Rois, avec tous les honneurs qui lui sont dus et selon les grands rites funéraires égyptiens.
La momie supposée d’Amenhotep III a été retrouvée au cœur de la Vallée des Rois dans l’une des deux cachettes mises en place par les grands prêtres de la dynastie XXI dans l’espoir de protéger les Pharaons défunts du vandalisme des pilleurs de tombes. La momie a été retrouvée dans la tombe d’Amenhotep II et, si à une époque la paternité de cette momie a bien été bien attribuée à Amenhotep, de nouveaux faits sont venus mettre en cause cette affirmation. A débattre donc, sur d’autres pages…
Le nouveau roi, Amenhotep, quatrième du nom, doit avoir dans les vingt-cinq ans lorsqu’il monte sur le trône d’Egypte. Il se fait appeler Neferkheperourê Ouaenrê, Belles sont les transformations de Rê, unique de Rê. Il semble bien qu’il soit déjà uni à la belle Nefertiti à qui je consacre quelques pages un peu plus loin, sa beauté le mérite bien ! Un petit aperçu ici. Les premières années du règne se déroulent à Thèbes, années qui semblent relativement calmes mais tout cela est trompeur : durant son adolescence et les premières années de sa vie d’adulte, Akhenaton a fortement été imprégné par les nouvelles conceptions religieuses de son père. Celui-ci avait su montrer sagesse et tempérance et avait compris qu’il ne fallait heurter aucune susceptibilité. Son fils, jeune et fougueux, prisonnier d’une personnalité arrogante et versée dans l’extrême, ne se donna pas la peine de prendre autant de réflexion et de précaution.
Pour marquer le début de son règne, Amenhotep IV décide de poursuivre l’œuvre architecturale de son père à Karnak notamment sur l’avant porte du pylône III de ce qui allait devenir le plus fabuleux complexe religieux d’Egypte. On peut l’y voir dans une scène traditionnelle du répertoire iconographique égyptien, une scène de bataille révélant Pharaon dans toute sa puissance de guerrier vainqueur, tenant des ennemis par les cheveux et s’apprêtant à les tuer. Dans la tombe thébaine de Kherouef, on peut voir Amenhotep s’adonnant aux classiques libations et offrandes en l’honneur d’Atoum et Rê-Horakhty. Et jusque-là rien que de très banal.
Pharaon va même plus loin, il décide d’élever au sein même du temple de Karnak un Château du Benben de Rê-Horakhty en sa forme de lumière qui émane d’Aton dans Karnak. Aucun vestige en place de ce monument n’a été retrouvé, on sait seulement que deux cents blocs de cet édifice ont été réutilisés par Horemheb comme bourrage du pylône X de Karnak. La lecture de ces blocs où les noms divins n’apparaissent pas encore dans des cartouches, où Geb côtoie Horus et Seth est d’un banal classicisme.
Sur quelques blocs cependant, apparaît l’image nouvelle d’Aton, le disque solaire, dont les rayons sont terminés par des petites mains, on commence à voir les noms divins protégés dans des cartouches et, enfin, entre en scène la belle Nefertiti. On suppose que ces blocs furent les derniers achevés dans le processus de construction et si l’on se réfère à des documents trouvés dans la tombe de Toutankhamon, on découvre qu’en l’an III du règne d’Amenhotep IV le nom divin n’est pas ceint d’un cartouche tandis qu’en l’an IV, le cartouche fait son apparition. Il n’est pas impossible, donc, de situer les premiers éclairs annonciateurs d’orage vers l’an IV du règne en sachant qu’en l’an V, Amenhotep IV quitte Thèbes pour aller fonder sa nouvelle capitale à Tell el-Amarna.
Toutes ces transformations qui s’étalent sur près de quatre années et représentées sur les monuments thébains tendent à prouver que, dans un premier temps, l’atonisme n’était pas incompatible avec le culte d’Amon ni avec celui des autres dieux d’ailleurs. Mais des listes très explicites déchiffrées sur les fameuses talatates prouvent aussi combien les sanctuaires égyptiens de toute nature étaient conviés à participer à la nouvelle idéologie montante.

L'innovation fondamentale d'Amenhotep IV
Toujours est-il que, peu à peu, Akhenaton modifie le paysage architectural de Karnak et de nombreuses innovations commencent à choquer les esprits et les cœurs.
Dans la mesure où le culte d’Aton, cette boule solaire qui illumine la terre toute entière de ses rayons bienfaisants, doit se faire, par sa nature même, à ciel ouvert et ne nécessite plus de naos ni de lieu clos, il n’est plus indispensable de munir les temples de toit protecteur. Les murs n’ont plus besoin d’être aussi solides, il faut gagner du temps aussi, la nature impétueuse du jeune Pharaon impose un rythme effréné aux ingénieurs, la solution est trouvée dans la technique novatrice des talatates, blocs de pierre aux dimensions uniformisées de 50 cm sur 25 environ. Vers l’Est du temple de Karnak (voir Plan de Karnak), Akhenaton entreprend la construction d’un temple comprenant palais de résidence et fenêtre des apparitions dont il ne reste, malheureusement, rien de visible. Les talatates employées furent réutilisées pour de nouvelles constructions ordonnées par les Pharaons successifs du Nouvel Empire.
Les archéologues les retrouvèrent dans les pylônes II, IX et X de Karnak et tentent de reconstituer un puzzle gigantesque et passionnant que la vindicte et la vengeance des rois ultérieurs à Amenhotep IV ont sauvegardé en voulant, paradoxalement, le détruire. A la fin des années 1960, le Service des Antiquités égyptiennes et le Centre franco-égyptien de Karnak ont extrait des centaines de blocs qu’il a fallu trier, photographier, déchiffrer et entreposer à l’abri.
Dans les années 1980, la technologie moderne est venue apporter un soutien non négligeable à cette reconstitution pharaonique, EDF et le CNRS se sont unis et, grâce à l’informatique, le travail a pu avancer nettement plus rapidement. Robert Vergneux qui a travaillé sur près de 7228 talatates découverts dans le pylône IX affirme que l’étude chronologique de ces blocs a livré des informations incontestables sur l’évolution du règne d’Amenhotep IV et la progression de sa croyance en Aton au détriment d’Amon et de tous les autres dieux.
Les scènes restituées sont d’une extrême richesse et les plus curieuses d’entre elles nous montrent Pharaon inlassablement accompagné par la famille royale. Et peu à peu monte cette idée nouvelle qui révèle au monde un couple unique, Amenhotep IV et son épouse, intermédiaire révélé entre le dieu Aton et les hommes. Plus besoin de statues ou d’idoles à vénérer, le peuple a le devoir d’adorer ce couple choisi par Aton et qui s’expose ainsi au regard de tous sur les murs des temples.
Une autre innovation ne laisse pas de marbre les mentalités conservatrices de cette Egypte plongée dans un ouragan de bouleversements : les piliers osiriaques à l’effigie de Pharaon qui se dressent dans le temple d’Aton à Karnak exposent des formes inhabituelles et, on peut dire, choquantes, des formes parfois d’une troublante féminité. Les ventres sont lourds et gonflés, les hanches sont larges, les crânes sont exagérément allongés, les lèvres épaisses, les traits sont anguleux, certaines statues sont même nues et asexuées. Photo 1 Photo 2 Photo 3 Photo 4. Qu'est-ce à dire ? Et beaucoup a été dit, beaucoup a été écrit et l'encre ne finira pas de couler pour tenter d’expliquer cet art nouveau, pour tenter de saisir ce langage original. Déformation à la naissance, maladie génétique qui font d’Amenhotep un être dégénéré ? Pourquoi pas le syndrome de Marfan ou celui de Frölich ou bien sûr une possible homosexualité qui offre là un terrain de choix à la verve affolante des romanciers les plus imaginatifs ? Et les hypothèses sont encore nombreuses, le pire est sûrement à venir !

Un symbole qui devient Révolution
Il est préférable de porter notre attention vers le domaine du symbole que l’esprit de l’Egyptien antique a su manier avec beaucoup d’aisance et d’à-propos.
Ainsi peut-on comprendre que ces formes nouvelles sont probablement l’expression d’un langage symbolique qui tente de traduire la bisexualité d’Aton qui est à la fois le père et la mère de l’humanité. Voir l'Hymne à Aton. Cette ambiguïté divine se reporte, bien sûr, sur le fils qu’il a choisi pour transmettre le message aux hommes, Amenhotep devient le porte-parole et l’expression physique d’Aton sur terre. Son épouse, la reine Nefertiti participe à ce langage, elle accompagne son époux et se fond en lui, elle se rapproche ainsi de lui, sa position devient essentielle aux côtés du Roi et, tous les deux, profondément unis pour se perdre à leur tour dans le symbole d’Aton, s’éloignent peu à peu du peuple égyptien.
Et c’est peut-être ici que nous devinons la véritable « révolution » désirée par Akhenaton : au plus profond de l’extase qui le gagne chaque jour un peu plus, Amenhotep modifie radicalement la perception classique que tout un chacun se faisait de la fonction royale, Pharaon devient bien plus que le représentant du dieu sur terre, nous nous éloignons du roi-dieu du passé, il devient le fils et le prophète du dieu, la fonction royale se trouve ainsi exacerbée, Aton ne s’adresse qu’à son fils et à son épouse, et si les hommes du commun ont, tout au début, pu participer à l’adoration du nouveau dieu, le peuple devient peu à peu un étranger dans cette histoire, les rayons du soleil ne baignent plus que sa royale personne et sa famille. Le bon peuple n’adore plus son dieu, il se doit de vénérer la famille royale devenue famille divine.
"Nul autre ne te connaît, excepté ton fils
Neferkheperourê Ouâenrê,
Celui que tu instruis de tes intentions et de ta puissance."

Et ce processus d’assimilation divine n’aura de cesse de s’intensifier d’une bien curieuse manière : si seul Pharaon a accès au Dieu, s’il est le seul à être choisi en retour et s’il devient dieu lui-même, Aton a droit à quelques privilèges jusque là réservés au roi : son nom divin est inscrit dans les cartouches royaux la fusion est extrême et portée à son paroxysme.
On a pu croire, à un moment fugace de cette aventure, que l’idéologie atonienne ait pu être une religion d’amour et portée vers l’universalisme. Certains passages de l’Hymne à Aton peuvent le faire croire. Epris de liberté et d’égalité Pharaon ? Pas si sûr ! Dans les tombes des fonctionnaires de cette période, une nouvelle iconographie se dessine, inhabituelle et choquante : Pharaon ordonne à ses courtisans de ramper à ses pieds, les nobles doivent courber l’échine, pouvons-nou y voir des preuves d’amour et de respect loyalement obtenues ? La police n’a jamais autant ratissé les villes et les campagnes, armée de bâtons et d’injures qui accablent une population en pleine déroute morale.

Les autres innovations d'Amenhotep IV
Les caractéristiques de l’art amarnien telles qu’elles sont décrites s’étendent aussi à la technique même qui préside à sa réalisation : jusqu’à alors la méthode du bas-relief était celle appliquée à l’architecture dans son ensemble. Akhenaton inaugure la méthode du relief dans le creux, c’est-à-dire que les figures ne ressortent plus mais sont travaillées dans le creux du contour. Cette ingénieuse innovation est une des conséquences de la nouvelle idéologie car elle permet de mettre en valeur le trajet des rayons solaires qui viennent percuter l’image pour lui procurer des jeux d’ombre et de lumière. Symboliquement, cette technique s’applique aussi dans l’obscurité des tombes où ce sont les rayons figurés de l’astre Aton terminés par des petites mains et des ankh qui viennent frapper l’image du Pharaon en adoration devant son dieu.
Jusqu’à présent, on peut considérer que l’art égyptien était figé dans une sorte d’immobilisme et que les artistes étaient tenus d’obéir à des règles très strictes et directives. L’extrême liberté qui souffle sur l’art égyptien sous Amenhotep IV a permis l’éclosion d’une liberté artistique qui tient à célébrer l’instant présent, le vécu immédiat. Et dans cette osmose parfaite que Pharaon veut recouvrir avec son dieu, dans cette reconnaissance immédiate de la puissance solaire, Akhenaton en vient même à oublier l’idée de la mort et de l’obscurité. Pour lui, le disque solaire apparaît tous les jours au matin parce qu’il en est ainsi, c’est un fait et toutes les notions de danger et de combat que le soleil a pu rencontrer dans l’ancienne idéologie religieuse n’existent plus à ses yeux. C’est un raisonnement presque mathématique, très moderne pourrait-on dire, le soleil naît chaque jour sous l’effet d’un mécanisme obligatoire qui n’a plus rien à voir avec l’effort que tout un chacun et surtout Pharaon met en œuvre par le respect de la Maât pour que justement cette naissance s’accomplisse tous les matins. Et pourtant la petite déesse ne disparaît pas complètement, elle change simplement de nature, Maât, c’est Akhenaton lui même comme il a pu fusionner aussi avec Aton. Et nous rejoignons ce que nous avons souligné plus haut : nous rentrons dans un subtil engrenage au sein duquel Pharaon tire toutes les ficelles à lui : il décide, il interprète, il est le dieu, il est le seul à avoir reçu le message divin, il est le seul à pouvoir le transmettre, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit devient obligatoirement chose sacrée entre toutes et c’est à lui que l’on doit un respect sans limite et non plus au dieu.
Libre penseur, Akhenaton, épris d’amour pour son dieu, sûrement, idéaliste au cœur pur, je n’en suis pas si sûre, mégalomane très certainement car dans sa folie atonienne il reste bien peu de place pour le rêve et l’amour universel de l’humanité.
De même, dans le domaine de la littérature et de l’écriture, Pharaon bouleverse l’ordre établi : le néo-egyptien, la langue parlée pénètre dans les textes et remplace les medou neter, les hiéroglyphes sacrés qui verrouillaient l’accès des textes sacrés.
Bien sûr, tous ces changements ne se sont pas opérés en un jour. Progressivement, durant les quatre premières années du règne, les choses se sont mises en place jusqu’à la cassure finale, jusqu’à la goutte qui fait déborder le lac. Il est clair que l’attitude d’Amenhotep ne plaisait pas à tout le monde, les dépenses qu’il engageait pour la construction de ses temples, l’émergence d’Aton au détriment d’Amon, les libertés artistiques autant de raisons propres à faire monter la tension. C’est alors qu’Amenhotep ose faire quelque chose qui apparaît impensable et profondément grave pour tout Egyptien antique : il ose changer de nom, il abandonne son propre nom pour revêtir celui d’Akhenaton Celui qui plait àAton, le Serviteur d’Aton. Ce fait d’importance prouve nettement l’osmose recherchée par le Roi dans sa quête religieuse. Le nom de la Reine aussi est modifié, Nefertiti devient Neferneferouaton-Nefertiti. Certains datent ce changement juste après l’inauguration de sa nouvelle capitale, peu importe, c’est un Pharaon tout neuf qui se prépare à rejoindre son dieu dans la nouvelle cité qui lui est dédiée.
C’est aussi à ce moment qu’il se passe quelque chose, quoi nous ne le savons pas trop, mais sûrement un fait très grave qui incite Pharaon à provoquer le clergé thébain. Brutalement, Akhenaton décide de quitter la belle Thèbes, il abandonne temples et palais pour s’exiler en un endroit choisi par lui, vierge de toutes constructions antérieures, situé en Moyenne Egypte, au centre même du Double-Pays.

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