Vous êtes à l ankh
Introduction, un règne d'exception
Avant le règne d'Akhenaton
Amenhotep III et l’influence amonienne
L’enfance d’Amenhotep IV
Pendant le règne d'Akhenaton
L’accession au trône
L'innovation fondamentale d'Amenhotep IV
Un symbole qui devient Révolution
Les autres innovations d'Amenhotep IV
Un exil nommé Amarna
Portrait d’une reine énigmatique
Album Les enfants du Soleil
Depuis quelques jours, un vent chaud souffle sur la terre d’Egypte.
Et plus particulièrement sur ce petit bout de désert rocailleux et inhospitalier
qu’un Pharaon venu d’un autre âge a voulu transformer en une terre promise
et que son dieu unique, le disque solaire Aton, illumine de ses rayons bienfaisants et vivifiants.
 Au cœur de son palais, dans la salle réservée aux ablutions,
là où subsiste encore quelque fraîcheur,
Nefertiti, la Grande Epouse Royale, la Bien-Aimée d‘Akhenaton,
allongée sur une dalle de granit, offre sa nudité aux mains expertes de sa fidèle servante, une jeune nubienne talentueuse,
habile dans l’art du maquillage et de la toilette.
Une petite fenêtre orientée vers le nord laisse filtrer un peu de clarté
tandis qu’une brise légère trouble la moiteur de ces heures d’été.
La douce lumière constellée d’une myriade de petites poussières d’argent baigne le corps alangui de Néfertiti
accentuant la perfection de ses formes et la grâce de ses charmes.
Cependant, la Reine pose bien des soucis à la jeune magicienne :
que peut donc produire le génie d'un artiste lorsque la matière qu’il doit travailler est parfaite dès l’origine ?
Sinon la sublimer par de subtiles touches et se contenter de souligner ce que la nature a œuvré d’elle-même avec tant d’assurance !
La Reine aux sublimes attraits pousse un long soupir et incline son beau visage vers la nubienne….

Et c’est ce même visage, cette incroyable perfection que nous retrouvons quelque trois mille cinq cents ans plus tard en admirant le fameux buste d’un reine mystérieuse devenue le symbole universel de la beauté féminine. Comment ne pas rester confondu et sans voix pour ne pas dire incrédule, comment ne pas se laisser emporter par un torrent de lyrisme, comment ne pas tomber dans le romantisme le plus absolu devant cet excès de charme ? La Belle est venue, certes, et malgré les ans qui passent et les siècles que le temps sème pour vieillir les hommes et leurs oeuvres, les amoureux de la Reine à la jeunesse éternelle sont de plus en plus nombreux, conquis sans livrer bataille par son regard de braise et son sourire empreint d’une légère ironie qui semble affirmer à tous ceux qui cherchent à percer le mystère de sa vie qu’ils ne sont pas prêts de trouver les portes de la vérité.
Mais nous qui sommes des égyptophiles avertis et objectifs, nous qui tentons de coller à l’Histoire et à sa vérité vraie, ne nous laissons pas emporter par notre imagination et penchons-nous sur la véritable existence de notre belle Nefertiti !
Qui es tu Nefertiti ?
La femme a ses mystères que l’homme le plus curieux et le plus équilibré a bien du mal à percer et à comprendre. Encore faut-il savoir de quelle femme l’on parle et, en l’occurrence, Nefertiti n’a pas encore livré tous les secrets qui entourent ses origines.
Remontons le temps et faisons une halte sous le règne fastueux du père d’Amenhotep IV/Akhenaton, le pharaon Amenhotep III. La Reine Tiyi est la préférée de notre roi mais, souscrivant à une tradition instituée par son père Thoutmosis IV, Amenhotep III, vers l’an 10 de son règne, et donc encore très jeune, se tourne vers le royaume du Mitanni pour solliciter de la part du Roi Suttarna, dans un premier temps, la main d’une de ses princesses, la jeune Gilukepa. Celle-ci arrive en terre d’Egypte en grande pompe et grand apparat, accompagnée d’une foule de serviteurs et d’un nombre impressionnant de bagages mêlant les vêtements les plus inattendus aux objets les plus rares et aux animaux les plus variés.
Mais, bien sûr, une certaine monotonie s’installe, la curiosité exotique qui avait accompagné l’arrivée de la jeune princesse s’estompe, Amenhotep III se préoccupe déjà d’une nouvelle concubine et porte son choix vers la fille du nouveau Roi du Mitanni Tushratta, jetant son dévolu sur une jeune vierge, la princesse Taduhepa. Nous sommes déjà en l’an 36 du règne d’Amenhotep III, sa santé s’amenuise de jour en jour. Hélas, Pharaon est au crépuscule de sa vie et la miraculeuse déesse mésopotamienne Ishtar que Taduhepa avait glissée dans sa dot pour soulager les maux dont souffre notre vieux Roi, n’a pas eu le temps d’exercer sur lui ses vertus guérisseuses. A Malqata, un communiqué dramatique tombe :
" La Majesté Horus, Taureau Puissant, apparu en vérité, Horus d’Or, grand par la force, qui bat les Asiates, roi de Haute et de Basse Egypte, Neb-Maât-Rê, fils de Rê, Amenotep, prince de Thèbes est mort !"
Et l’on ne sait pas vraiment si cet hymen entre le vieil homme et la jeune belle fut consommé, quelques-uns sont tentés de croire qu’il le fut et qu’un enfant serait né de cette union, laissons-les dire, peut-être ont-ils raison. Toujours est-il que la jeune épousée ne reste pas veuve longtemps, Amenhotep IV recueille la jeune orpheline et en fait l’une de ses épouses.
Et commence pour nos égyptologues devenus de fins limiers pour les circonstances, une longue et complexe enquête policière. Cette jeune étrangère serait-elle notre belle Nefertiti ? Pour certains, les archives d’Amarna sont formelles, oui, Taduhepa et Nefertiti ne sont qu’une seule et même personne, écoutons le procès verbal d’Eléonore Bille-Demot :
" Malgré le doute exprimé récemment encore par de nombreux égyptologues qui, sans pouvoir le prouver d’ailleurs, préfèrent voir dans la jeune reine une demi-sœur d’Amenophis IV ou bien encore la fille d’Aÿ, il y a, à notre avis, suffisamment d’indices qui permettent de dire que Néfertiti et Tadoughepa étaient une seule et même personne. Tout d’abord, ce surnom, si expressif et poétique : Nefertiti, La Belle est Venue, puis le fait que le roi Tushratta commence toujours par mentionner la reine-mère, puis Tadoughepa, ma fille, ton épouse, tes autres épouses. Il envoie exactement les mêmes présents aux deux femmes, ce qui eût été une maladresse s’il y avait eu une autre reine et si Tadoughepa n’ait été qu’une simple dame du harem. Mais surtout il y a cette coiffure de Nefertiti, en forme de chape qu’elle est la seule à porter de toutes les reines d’Egypte. Cette coiffure ressemblait à la coiffure-couronne des déesses d’Asie et d’ailleurs…Le type ethnique de la reine est d’ailleurs très différent de celui des Egyptiens."
Ainsi, le pas est rapidement franchi, présentant Nefertiti comme exilée d’une civilisation indo-européenne dont fait partie le Mitanni. Notre reine, issue de ces peuples, adorateurs du soleil et de ses nombreuses manifestations (la déesse solaire est appelée Reine du pays du Hatti, du Ciel et de la Terre et communiquerait aux rois ses pouvoirs) aurait influencé son Akhenaton d’époux, possible instigatrice du futur culte du soleil.
Mais comme le souligne très justement Agnès Cabrol dans son remarquable ouvrage sur Amenhotep III, il était de coutume avérée lors d’un remariage que la nouvelle épouse changeât de nom pour l’occasion. Pourquoi ne pas envisager cette hypothèse, Taduhepa change de nom à la mort de Pharaon et se présente alors sous les traits d’une épouse d’Amenhotep IV dont nous connaissons l’existence sous le nom de Kiya. Mais là aussi, si nous devons nous attarder sur cette jeune femme Kiya, d’autres incertitudes surgissent, certains ayant vu dans son nom, dont l’écrivain Guy Rachet, la contraction du nom de la première épouse mitanniene, Gilukhepa. Kiya/Gilukhepa, Kiya/Taduhepa, toujours est-il que nous percevons dans ce nom une consonance étrangère indéniable, reste à le restituer à l’une ou à l’autre de ces princesses. Le débat reste ouvert.
Il est avéré toutefois qu’une idée communément admise assimilant directement la personne de Nefertiti à l’une de ces deux princesses mitaniennes est, actuellement et pour un très grand nombre de sommités, complètement écartée.
Toutes ces hypothèses refoulées, nous n’en savons pas plus qu’au début de notre enquête sur les origines de Nefertiti que l’on s’obstine à chercher sur des pistes étrangères. Il nous reste à explorer un peu mieux notre belle Egypte, la lumière y est d’une telle intensité en ces jours de shemou, la réponse est peut-être tout près de là, dans la région d’Akhmin.
En effet, le petit monde des égyptologues de renom (Traunecker, Cabrol et bien d’autres) sont de plus en plus tentés de privilégier, malgré ce nom ambiguë La Belle est venue, la piste égyptienne et situer les origines de la reine au sein même de l’entourage royal.
La nourrice de la future reine d’Egypte ne serait-elle pas Dame Tiy, l’épouse d’Aÿ, père-divin, personnage d’une extrême influence durant l’épisode amarnien, appelé parfois beau-père du roi et qui deviendra Pharaon un court instant ? Ces hauts personnages résident dans la région d’Akhmin située à presque mi-chemin entre Amarna et Karnak. De plus, le couple aurait une autre fille, sœur de Nefertiti, Beneret-mout ou Moutnedjemet. Le nom élogieux d’Aÿ qualifié de père divin serait-il en rapport avec le destin glorieux de sa fille ? Pour l’instant, il faut bien avouer qu’aucune preuve formelle ne vient asseoir de manière implacable ces allégations, la prudence reste de mise tant que de nouvelles preuves archéologiques, épigraphiques ou autres ne viendront infirmer ou confirmer l’une ou l’autre de toutes ces hypothèses.
L’affaire Nefertiti n’est pas encore élucidée, la Belle est encore auréolée de son mystère, tout au plus peut-on affirmer que ses prétendues origines asiatiques sont totalement écartées. Puisses-tu, Nefertiti, nous faire rêver encore longtemps !
La carrière d'une Reine
Quoi qu’il en soit de ses origines un peu troubles et très imprécises, la reine Nefertiti ne lasse pas de nous surprendre tant ses apparitions se multiplient à l’envi dans le paysage architectural égyptien. La Grande Epouse Royale devenue pour la bonne cause de l’idéologie montante Neferouaton-Nefertiti, est omniprésente sur les monuments thébains : c’est incroyable, l’image de la Belle apparaît près de cinq cent soixante quatre fois sur le temple d’Aton de Karnak tandis que celle de son époux ne figure que trois cent vingt fois !
Claude Traunecker rappelle avec justesse que la Reine participe activement à la fête-sed d’Amenhotep IV très certainement célébrée en l’an 2 du règne. Il précise que la Reine, à l’occasion de cette festivité destinée à lancer la nouvelle théocratie atonienne, s’attribue les fonctions de la déesse Hathor dont on célèbre dans la liesse l’arrivée, la venue de la Dorée. Quelle coïncidence, La Belle est venue, le nom de la Reine est aussi un qualificatif de la déesse, peut-être avons-nous là une possible explication de l’énigmatique nom de Nefertiti ?
Nefertiti participe encore et toujours à toutes les cérémonies officielles, détail qui a son importance, elle est placée sur le même plan que Pharaon, elle est représentée aux côtés de son époux et son rôle est loin d’être celui d’une simple ambassadrice de la beauté, elle est bien l’égale d’Akhenaton. Nefertiti incarne auprès de son époux la révélation d’un couple unique, un homme et une femme, choisi par le dieu Aton, père et mère de l’Humanité.
Dans une scène racontant la réception des tributs des pays vassaux, une inscription datée de l’an 12 déclare :
"An 12, deuxième mois de l’hiver, huitième jour, le roi, la reine, vivant à jamais, firent une apparition publique sur le grand palanquin d’or pour recevoir le tribut de la Syrie et de l’Ethiopie, de l’Ouest et de l’Est. Tous les pays furent rassemblés en même temps et aussi les îles du milieu de la mer, apportant des offrandes au roi tandis qu’il était assis sur le grand trône de la cité de l’Horizon d’Aton pour recevoir les impôts de chaque pays et leur accorder en retour le souffle de la vie."
Sur cette image, Pharaon, paré des attributs du pouvoir a pris place aux côtés de sa belle épouse. Nefertiti entoure de son bras la taille de son époux, son geste mêle intimement amour, tendresse et protection, elle tient à montrer son attachement et l’importance que l’on doit accorder au couple qui ne fait plus qu’un tant ils sont baignés et investis de la passion d’Aton, mais elle tient aussi à affirmer sa présence en tant que Reine particpiant activement aux affaires politiques. L’atmosphère ainsi créée, le ton donné à cette cérémonie prend un air quasi religieux. Ce document daté est le dernier concernant la belle Reine, on la verra une dernière fois vers l’an 13 assistant aux funérailles de sa fille Maket-Aton.
Nefertiti accompagne son Roi dans tous les moments tant de la vie publique que de la vie privée, elle apparaît à ses côtés au beau milieu de la fenêtre des Apparitions afin d’offrir leur amour si manifeste, si palpable à un peuple en adoration, on l’admire sur un char aux côtés de Pharaon, on pénètre dans la convivialité d’un repas qu’elle partage avec sa famille et sa belle-mère, Tiyi, on la voit tendrement enlacée aux bras de son époux dans une pièce de leur palais qui n’est autre que leur chambre, nous pénétrons une nouvelle fois au cœur d’une intimité encore jamais vue dans l’iconographie égyptienne et qui insiste, si besoin est, sur les qualités divines et procréatrices de ce couple inattendu. On assiste à des scènes touchantes où l’intimité d’une famille profondément unie se lit aisément : le roi et la reine, parents aimants et attentifs jouent avec leurs enfants, toutes des filles, les faisant sauter sur leurs genoux, leur caressant affectueusement la tête, les serrant tendrement dans leurs bras.
Représentation exceptionnelle, surprenante, Nefertiti peut être lue, victorieuse et menaçante, en train de massacrer les ennemis du Double-Pays, figuration réservée habituellement au seul souverain des Deux-Terres. Nefertiti est tour à tour l’amante attentionnée, terriblement amoureuse de son époux, c’est la mère affectueuse et attentive qui prend soin de sa descendance, c’est la femme guerrière et protectrice de son peuple, c’est l’instigatrice, la muse qui accompagne son élu dans sa quête atonienne.
Nefertiti était-elle cette femme d’une exceptionnelle beauté qui fascine notre imagination encore de nos jours et pour les générations à venir, nous ne le saurons probablement jamais, mais il est clair à la lecture de tous les documents qu’elle a laissés dans son sillage que sa position auprès de Pharaon, en tant qu’épouse, mère et Reine a révolutionné en quelque sorte l’image de la femme dans la représentation du pouvoir pharaonique.
L'existence d'une mère
Imaginons nos deux tourtereaux, deux jeunes adultes lancés dans la tourmente du pouvoir. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont venus repérer les lieux de leur nouvelle demeure, le site d’Amarna d’où va jaillir tel un champignon, la splendide et éphémère Akhetaton. Nefertiti est promise à offrir à son époux une nombreuse descendance, il semble qu’elle soit toujours enceinte, six enfants au total, une joie tempérée par les caprices de la nature : ce sont toutes des filles, elles sont sûrement aussi belles que leur maman, le problème est ailleurs, Akhenaton aurait bien aimé tenir dans ses bras des garçons même si l’amour qu’il voue à ses fillettes s’apparente à un véritable culte.
La première de ces filles se nomme Merit-Aton, sa naissance se situe vers l’an 4 ou 5, une stèle commémorative de Tell el-Amarna la désigne, à cette époque, comme l’unique fille du couple royal.
Puis, une deuxième fille agrandit le cercle familial, c’est Maket-Aton, née entre l’an 5 et l’an 6. Quelques temps plus tard, Ankhespaaton voit le jour, elle restera célèbre dans l’Histoire égyptienne car elle est la future épouse d’un petit Pharaon au destin bien singulier, Toutankhamon.
La famille royale s’installe enfin à Akhetaton, c’est là, probablement, que naîtront les trois autres filles du couple, Neferneferou-Aton, Baketaton et Setep-Aton (?), les noms ne sont pas certains. Reste encore l’énigme de la naissance d’un possible fils, toujours le même Toutankhamon, dont la mère serait cette fameuse Kiya qui aurait mérité le titre de Très Aimée, rivale potentielle de Nefertiti et dont nous avons parlé un peu plus haut mais cela reste encore une hypothèse.
Tout pourrait aller pour le mieux dans ce nouvel ordre amarnien si un épisode dramatique n’était venu perturber l’intimité royale : le décès prématuré de la petite Maket-Aton. Cet événement douloureux est peint sur les parois d’une tombe à Darb el-Hamezoui : on peut y lire toute la tristesse et la souffrance d’une famille décomposée par la mort d’un enfant, les parents pleurent leur fille chérie, les sœurs sont effondrées, les pleureuses se lamentent en levant les bras au ciel et l’on voit une femme quitter la pièce emportant dans ces bras un enfant. On peut alors supposer que la jeune Maketaton est morte en mettant ce bébé au monde.
Et peu à peu, le bel idéal amarnien se fissure, le beau projet se lézarde au fil des ans. Déjà, dès l’an 9, les prêtres d’Amon se montrent de plus en plus inquiets et tentent de provoquer Pharaon, la réponse de celui-ci est brutale, il fait fermer les temples amoniens et ordonne le martèlement quasi systématique du nom du dieu déchu. Puis intervient l’épisode tragique du décès de Maket-Aton, le couple ne sortira pas indemne de cette épreuve d’autant plus que d’autres disparitions suivront, malheureusement. Aux portes de l’Egypte, les peuples voisins grondent leur mécontentement car Akhenaton, préoccupé par ses affaires religieuses n’écoute pas les plaintes et les craintes des vassaux qu’il est censé protéger de son autorité et de sa puissance, le Mitanni est envahi, les Hiitites menacent l’empire égyptien fragilisé par tous les excès de son Roi. Le roi Abdikhiba se lamente et écrit :
"Que le roi veille sur le pays et qu’il mande des troupes cette année, tout le territoire de mon maître va périr."
Et comme si ses craintes étaient encore plus grandes, comme si sa confiance en Pharaon n’était plus qu’un fil ténu auquel il ne pouvait plus se raccrocher, il précise à celui qui est censé ouvrir le courrier, ultime recours à son désarroi :
"Explique clairement au roi ceci : le pays tout entier marche à sa ruine."
La reine Tiyi s’éteint vers l’an 8 du règne de son fils, malgré la tempête qui avait secoué Thèbes elle avait gardé un lien avec la famille amarnienne et avait, peut-être, joué un rôle de conseillère et de modératrice auprès de son fils.
Et vient le moment où certains parlent de la disgrâce de Nefertiti car, d’un seul coup, vers l’an 12, la Reine disparaît de la scène publique. Pourquoi une telle absence, comment expliquer ce retrait inattendu ?
On peut avancer la douleur d’une mère, accablée par la perte successive de ses filles, l’existence sous le ciel doré d’Aton a perdu de sa saveur, la joie de vivre s’est éteinte au moment même où les fillettes adorées ont rejoint leurs dernières demeures d’éternité. Nefertiti s’exile alors dans ce que l’on nomme son Palais Nord.
Certains avancent une possible disgrâce, Akhenaton reprochant à la Belle de ne plus être celle qui fait honneur à leur dieu Aton parce qu’elle ne remplit plus la fonction procréatrice qui devait être la sienne. D’autres pensent que cette avalanche soudaine de décès a priori inexplicable serait la conséquence d’une terrible épidémie, la peste, qui sévirait sur tout le territoire égyptien. Cela pourrait bien expliquer le retrait fatal de la Reine, emportée par la maladie.
Il faut bien reconnaître qu’à partir de l’an 13, la plus totale confusion agite Akhetaton. Deux hypothèses sont avancées quant au devenir de notre reine : soit elle meurt aux alentours de l’an 13, soit elle devient corégente nommée par Akhenaton lui –même et, survivant quelque temps à son époux défunt, assure les pleins pouvoirs sous le nom de Ankhkheperourê (théorie avancée, entre autres, par Christian Loeben).
D’autre part, le décès de Pharaon est lui aussi sujet à la plus grande imprécision, on ne sait ni quand ni dans quelles circonstances il rejoint son dieu Aton dans l’éternité de l’au-delà, tout au plus peut-on dater de l’an 17 la dernière inscription qui parle de lui.
Et après Nefertiti, et après Akhenaton ?
Restons dans le domaine du mystère et de la plus grande incertitude, les années qui ponctuent les derniers souffles amarniens sont encore une énigme pour les chercheurs.
On avançait, à un moment donné des recherches, que le successeur d’Akhenaton se nommait Ankhkheperourê de son nom de règne et Semenkharê de son nom de naissance. Ce nouveau Roi aurait épousé une des filles de notre hérétique disparu, Merit-Aton. Il aurait aussi assuré une corégence de deux ans avec Akhenaton avant que celui-ci ne disparaisse. Peut-être une preuve à l’appui, une stèle retrouvée à Amarna représenterait Semenkharê portant la couronne de Basse-Egypte et Akhenaton portant la double couronne. Ils sont tous les deux représentés dans une attitude assez équivoque, si choquante pour des mœurs égyptiennes que les égyptologues ont préféré avancer l’hypothèse que ce Semenkharê que l’on désigne aussi sous le nom d’Ankhkheperourê, ne serait autre que Nefertiti ! Mais aussi peut-on penser, toujours en rapport avec cette stèle, que ce Semenkharê serait le fils d’Akhenaton et d’une concubine, filiation qui expliquerait cette attitude affectueuse et avant tout paternelle.
L’enquête s’étoffant peu à peu, nos égyptologues pensent qu’il y aurait eu en fait deux pharaons portant le même nom de règne Ankhkheperourê, le nom de naissance de l’autre roi étant Neferneferouaton, autre vocable attribué à Nefertiti. Nefertiti aurait donc bien régné après le décès d’Akhenaton, dans son palais, on aurait retrouvé des jarres portant comme indication l’an 1 de Nefertiti !
Beaucoup de mystère donc, un grand nombre d’hypothèses, très peu de certitudes, le débat reste ouvert. Et comme si cela n’était pas suffisant, un autre débat alimente cette nébuleuse période. Des archives découvertes dans la capitale hittite de Hattousas parlent d’une reine égyptienne désespérée après la mort de son époux s’adressant au roi Chouppilouliama, le suppliant de lui envoyer un de ses princes afin qu’elle le couronne roi d’Egypte. Pourquoi une telle démarche et de quelle Reine s’agit-il ? De Nefertiti selon Nicholas Reeves, de Merit-Aton argue Marc Gabolde, d’Anklhespaaton avancent d’autres, jeune Reine affolée qui a perdu son Toutankhamon et ne veut pas d’un mari égyptien.
" Mon époux est mort et je n’ai pas de fils. Les gens disent que tes fils sont adultes. Si tu m’envoies un de tes fils, il deviendra mon époux car je ne veux prendre aucun de mes sujets pour en faire mon époux."
Chouppilouliama s’étonne, s’inquiète aussi :
"Depuis des temps immémoriaux, jamais je ne me suis trouvé devant une telle situation"
La reine insiste :
" Pourquoi dis-tu que nous essayons de t’abuser. Si j’avais un fils, est-ce que je me serai adressée à un pays étranger, d’une façon humiliante pour moi et pour mon pays ? Tu ne me crois pas et même tu me dis une chose pareille ! Celui qui était mon époux est mort et je n’ai pas de fils. Dois-je prendre peut-être un de mes serviteurs pour en faire mon époux ? On dit que tu as beaucoup de fils et il sera mon époux et il règnera sur le pays d’Egypte ! "

On imagine aisément les moments de flottement et de doute qui ont accompagné, du côté hittite, la lecture d’une missive aussi inattendue. Et pourtant, Chouppilouliama se laisse tenter, l’Egypte est une puissance qui fascine, jamais jusqu’à présent un roi étranger n’a reçu de tels honneurs de la part d’une reine égyptienne, gouverner l’Egypte c’est gouverner le monde, quelle aubaine inespérée ! Le roi naïf et ambitieux envoie donc en terre d’Egypte son fils Zannanza. Son voyage prendra fin quelque part en Syrie, jamais il n’atteindra les bords du Nil, il est des rêves et des aspirations qu’il vaut mieux ne jamais tenter de réaliser !
Toujours est-il qu’en cette fin de période amarnienne extrêmement trouble et confuse, quelque quatre années après la disparition d’Akhenaton, s’avance sous le dais royal un petit homme à peine âgé d’une dizaine d’années, le jeune et fragile Toutankhaton. Surses frêles épaules pèsent une bien grande mission, restituer à l’Egypte la vénération de son ancien culte et reconnaître, enfin, la suprématie du grand dieu amon quelque peu malmené par notre Hérétique. Mais, ça c’est une autre Histoire qui commence, ce sont d’autres personnages qui s’affrontent et se disputent les faveurs de Kemet, c’est aussi, bientôt, une dynastie qui s’éteint pour laisser place aux générations suivantes.
Nefertiti, où es-tu ?
Décidément Néfertiti est une énigme et se plait à se jouer de nous et de notre imagination. Nous ne savons rien de bien précis sur ses origines, mais cela est-il bien important, nous connaissons par contre beaucoup du rôle qui fut le sien auprès de son époux, les images et les fresques sont prolixes à ce sujet, et c’est tant mieux pour notre curiosité.
Mutine, la Belle, une dernière fois, s’esquive et se cache dans les dernières heures de son existence de femme corégente, exilée, recluse ou emportée par la maladie. Et même défunte, Nefertiti reste une énigme car si elle disparut bien un jour, cela nous en sommes certains, où fut-elle inhumée, dans quelle tombe repose-t-elle, en quel lieu nous attend–elle ?
Nous n’avons encore jamais retrouvé l’hypogée de la Reine, son mobilier funéraire n’a jamais été mis à jour, Nefertiti manque à l’appel, Nefertiti manque à ses admirateurs. Un petit espoir toutefois nous rassure un peu : l’étude d’une petite figurine funéraire que l’on attribuerait volontiers à notre disparue et actuellement conservée au musée de Brooklyn. Il s’agit d’un fragment de statue dont il ne reste que les deux pieds joints dans une espèce de gaine momiforme et sur lequel on peut déchiffrer le nom de la reine dans un cartouche. Cette figurine qui pourrait bien être un shaouabti a été mise en parallèle avec un autre fragment de statue conservé au musée du Louvre, une partie d’un torse féminin qui, après une étude minutieuse et comparative, pourrait bien "coller" au fragment de Brooklyn. Mais restons encore très vigilants, rien n‘est fait encore, les morceaux du puzzle ne s’emboîtent pas parfaitement entre eux, des incohérences subsistent encore et la preuve que l’on aimerait bien détenir est loin d’être faite et confirmée.
Dans le chapitre Arts et Monuments réservé, entre autres thèmes architecturaux, à l'étude des hypogées royales, nous nous pencherons sur une tombe très particulière, la KV 55 (King Valley 55) qui recèle dans ses profondeurs des secrets que bien des égyptolgues aimeraient enfin percer au grand jour. En effet, tombe ou cache amarnienne, comment définir cette sépulture qui pourrait abriter aussi bien les momies de Tiyi, Akhenaton, Nefertiti ou Kiya, sans compter Smenkharê ! A suivre.
Nefertiti se plait à s’abandonner aux artifices savants de sa petite servante nubienne,
le trait de khol noir souligne délicatement un regard qui se perd dans le lointain solaire,
les lèvres s’entrouvrent pour recevoir la poudre rouge qui accentue la sensualité troublante d’une bouche
qui scande avec passion les hymnes fiévreux en l’honneur de son dieu Aton.
Dans quelques heures, le sculpteur de la Reine, l’habile Thoutmes (Djehoutimes),
accomplira l’œuvre de sa vie, il mettra au monde l’image du sublime et de l’élégance.
Ses mains seront guidées par on ne sait quel génie,
ses yeux seront envoûtés par le charme rayonnant du modèle qui posera nonchalamment devant lui,
son âme toute entière sera portée par le secret des dieux.
Il ne le sait pas encore mais la sculpture qui va naître du bout de ses doigts traversera les âges et éblouira l’imagination des hommes.
Nefertiti se lève, sa tunique diaphane répand autour d’elle le doux parfum des fleurs d’Egypte,
parée de sa seule beauté, elle s’avance vers nous,
l’éternité se décline en ces mots :
La Belle est venue..

Animation 13 Nefertiti
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