"Avons enfin fait une découverte extraordinaire dans la Vallée :
une tombe somptueuse dont les sceaux sont intacts ; l’avons refermée jusqu’à votre arrivée, félicitations !"
Plan de Pharaon Toutankhamon
Vous êtes à l'ankh
Introduction
Un homme, un destin, une découverte
Le couloir et les deux portes
La Salle de la Royauté
La Salle du Sarcophage
La Salle du Marécage
La Salle de la Renaissance
Qui était ce petit Roi sans importance ?
Panoramique des tombes de la Vallée des Rois
Album I Toutankhamon
Album II Toutankhamon
Un homme, un destin, une découverte...
Avant de percer le mystère de la tombe de Toutankhamon et avant de nous laisser entraîner au plus profond de l'hypogée de ce petit prince, il faut nous immiscer dans la vie de celui qui, par sa pugnacité et son entêtement, a révélé aux yeux d'un monde en quête de sensations exotiques les trésors inestimables d'une civilisation en train de renaître. En effet, il me semble que si l'Histoire devait retenir, entre autres personnages prestigieux, deux figures incontournables, elle s'arrêterait chronologiquement sur celle de Champollion, le père de l'égyptologie, " l'inventeur " des hiéroglyphes dont le génie et là encore l'opiniâtreté ont permis de lire sur les façades des temples et au cœur des papyrus retrouvés la belle histoire égyptienne. Et sur celle qui nous préoccupe au fil de ces pages, celle d'Howard Carter qui, quelques années après Champollion découvre la première tombe inviolée de la Vallée des Rois.
Bébé Howard voit le jour et les premières mélancoliques lueurs de la très verte Angleterre le 9 mai 1873, plus précisément à Kensington. Il est le cadet d'une famille de onze enfants. D'une santé relativement fragile, il est contraint de suivre sa scolarité à la maison ce qui va permettre à son père de lui faire découvrir plus aisément sa propre passion, la peinture. Très jeune donc, il dévoile une belle aptitude dans l'art du dessin et se destine à la peinture animalière. A dix-sept ans, il rejoint en tant que dessinateur le British Museum de Londres et devient membre de l'Egyptian Exploration Fund sous la protection de Newberry. Rapidement, ses dons artistiques et l'amour qu'il commence à porter pour l'Egypte lui permettent de voyager vers le pays des Pharaons : il évolue sur le site d'Amarna en Moyenne-Egypte aux côtés de Petrie, puis rejoint Beni-Hassan pour se retrouver en Haute-Egypte à Deir el-Bahari sur le site du temple de Montouhotep aux côtés de Naville. Là, il est chargé d'étudier les inscriptions et bas-reliefs qu'il transforme en superbes aquarelles que l'on peut admirer aujourd'hui au Metropolitan Museum de New York.
Passionné, rigoureux, d'une extrême exigence, Carter se forme peu à peu sur le terrain, n'hésite pas "à mettre la main au sable ", se mêle volontiers à la population locale, apprend comme il peut l'arabe et se transforme rapidement en un archéologue autodidacte et impétueux. Il apprend vite et bien ce qui lui vaut l'attention de Maspero qui le nomme en 1899 Inspecteur des Antiquités de Haute-Egypte au Service des Antiquités égyptiennes. Toute son énergie est focalisée sur la Vallée des Rois où il a fort à cœur de protéger et consolider les tombes royales du site. En 1902, il entame avec enthousiasme des fouilles pour le compte d'un richissime mécène américain, Théodore Davis et son flair infaillible le mène aux hypogées de Hatchepsout et Thoutmosis IV dont il ne peut que constater le lamentable pillage.
Puis, en 1903 déplacé sur le site de Saqqarah en Basse-Egypte, Carter est victime de son impétuosité et de son idéal exacerbé de justice. En effet, une violente altercation avec des touristes très peu respectueux, il faut bien l'avouer, des coutumes locales se termine malheureusement très mal pour notre archéologue fort sincère mais très peu diplomate. Que s'est-il donc passé ?
Un groupe de touristes français, désireux de visiter le Sérapeum, se voit refuser l'accès du site pour la bonne raison qu'il ne possède pas de billets d'entrée. Quelques palabres plus tard, une moitié raisonnable se résout à payer tandis que l'autre, obstinée, refuse tout arrangement. On aurait pu s'en tenir là mais, billet ou pas billet, tout ce petit monde rebelle pénètre dans le Sérapeum. En pure perte d'ailleurs puisque les gardiens refusent de leur fournir les bougies nécessaires à leur progression dans les ténèbres des catacombes. Mécontents, les touristes de mauvaise foi exigent le remboursement de leurs billets. Carter arrive sur les lieux du litige et, catégorique, refuse non seulement de les rembourser mais les somme de quitter les lieux illico presto. Le ton monte rapidement, les Français n'hésitent pas à porter plainte auprès de Lord Cromer, consul général britannique, homme de bonne composition qui tente, avec Maspero, de calmer les esprits incitant Carter à plus de pondération. Têtu à l'extrême, il refuse de présenter ses excuses et préfère démissionner de ses fonctions.
Et comme il faut bien survivre, Carter retourne à la peinture durant les quatre années qui suivent ce regrettable incident. Mais, bien souvent, les petits ou les grands malheurs de la vie permettent à des destins à priori divergents de se croiser enfin ! En effet, un homme épris de belles choses, lord Carnarvon va unir son extrême sensibilité à la fougueuse détermination de Carter pour se lancer dans une grande aventure archéologique ! Lord Carnarvon est un riche anglais, heureux propriétaire d'une des plus belles demeures d'Angleterre, le superbe domaine de Highclere. Un malencontreux accident de voiture bouleverse son existence : ses jours sont comptés, il semble se remettre bien difficilement de ses blessures. C'est pourquoi son médecin lui conseille de quitter la pluvieuse Angleterre pour aller séjourner en Egypte où il peut bénéficier d'un climat plus clément ! Et Carnarvon tombe à son tour sous le charme de la merveilleuse Egypte. N'ayant point, à son grand regret, de compétences archéologiques (il n'arrivera à exhumer des sables qu'une momie de chat dans un sarcophage en bois) mais désireux d'apporter par le truchement de sa fortune personnelle une petite pierre à la découverte de cette civilisation, il se met en quête d'un homme assez fou pour fouiller les sables antiques en son propre nom et à l'aide de ses propres deniers. C'est ainsi qu'en 1907 il rencontre Carter, les deux hommes se trouvent rapidement sur la même longueur d'onde, l'aventure est en marche… Conscient des difficultés financières qui les attendent, Carter propose à son mécène qu'une partie des frais soit couverte par l'achat d'antiquités au bazar du Caire, qui seraient ensuite revendues à des collectionneurs avec des bénéfices appréciables.

De 1907 à 1912, les deux aventuriers mènent de nombreuses fouilles en bien des endroits : à l'ouest de Thèbes, sur la rive gauche du Nil, au cœur de la nécropole des Nobles (c'est la découverte de l'incroyable tablette Carnarvon I qui décrit le récit de l'expulsion des Hyksos par le libérateur Kamosis) et leurs investigations les font progresser jusqu'au Delta du Nil qu'ils vont quitter bien prestement en raison d'une invasion de charmantes petites bestioles rampantes, des cobras, qui, si elles ont pu être sacrées en des temps antiques, se révèlent quelque peu gênantes pour nos chercheurs qui tiennent encore à vivre de belles heures égyptiennes. D'autant plus que là-bas, en Haute-Egypte, sous des cieux plus favorables et nettement moins humides, le richissime Davis renonce à la concession sur laquelle il oeuvrait, découragé et peut-être moins passionné que Carnarvon, assurant "qu'il ne restait plus rien à découvrir dans la Vallée des Rois ".
Dès 1914, donc, nos deux compères se lancent dans des fouilles qu'ils pressentent encourageantes dans la mesure où Davis avait fait dès 1906 des découvertes très intéressantes. Ainsi, à quinze mètres de la tombe 48 d'Amenemopet, avait-il mis au jour un godet de couleur bleue au nom de Toutankhamon. Enfin, en 1907, dans une cache creusée dans la roche, le puits 54, du matériel funéraire, toujours au nom de Toutankhamon, avait été exhumé mais Davis refuse d'y porter une quelconque attention. C'est Herbert Winlock qui, plus curieux, apportera la quasi certitude après un examen approfondi du matériel qu'il s'agit en fait des restes du banquet funéraire du jeune roi : de belles jarres sont inscrites à son nom, encore fermées du sceau royal, d'autres indices sont anépigraphes mais apportent la preuve qu'on est en présence de matériel d'embaumement (bandelettes de lin tissées, paquets de natron et les fameux tikenou).
Puis, deux années plus tard, en 1909, Harold Jones découvre la salle 58, non loin de la tombe d'Horemheb et surtout met au jour une petite boite en bois contenant des feuilles d'or dessinant les contours de Toutankhamon et de sa jeune épouse Ankhesamon.
Davis et ses collaborateurs pensent qu'ils ont découvert la tombe du jeune roi, tombe malheureusement pillée à l'instar de ses voisines. Mais Carter n'est pas persuadé que cet endroit soit vraiment l'hypogée royal tant recherché. En effet, pour l'archéologue, les indices parlent d'eux-mêmes : certes, il est en présence des restes liés aux rites de l'embaumement ainsi que des vestiges du banquet funéraire mais rien, par contre, du matériel funéraire proprement dit, ce fameux matériel que tout défunt se doit de reconstituer au coeur de sa tombe afin de ne rien manquer pour le long voyage vers l'Au-delà. Il préfère augurer que l'hypogée se situe entre la tombe de Merenptah et celle de Ramsès III et, même s'il ne sait pas trop par quel bout commencer, il entame des fouilles systématiques rendues très aléatoires par l'impressionnant volume de gravats dû aux investigations précédentes et au temps qui passe…
Ce fameux temps qui coule et qui n'amène rien de bien significatif. Carter décide alors de modifier son plan de recherche et délimite un triangle constitué par les tombes de Ramsès VI, Merenptah et Ramsès II. Les jours passent, les années s'écoulent, la montagne ne livre toujours pas ce secret que Carter tente en vain de lui arracher.
"Ce devait être notre dernier automne dans la Vallée. Nous y avions passé six saisons pleines, travaillé durant des mois, sans rien trouver, et l'on imagine mal à quel point cela pouvait être déprimant. Nous nous tenions presque pour vaincus et nous nous préparions à quitter la Vallée pour aller tenter notre chance ailleurs."
De son côté, Lord Carnarvon se lasse, il ne doute peut-être pas des compétences de son archéologue préféré mais le nerf de la guerre est touché, ses réserves financières s'épuisent et le couperet tombe : il arrête les fouilles. Carter est anéanti mais il ne peut se résoudre à l'idée démoralisante que toutes ses recherches sont vaines, il doit bien y avoir un espoir encore possible, cet espoir qui est bien souvent à l'origine des grandes découvertes. Son instinct lui dit que la tombe est là, quelque part dans cette zone tant remuée en tout sens. Sur ce, intervient alors Bernard Bruyère, un grand Monsieur qui fouille de son côté le site de Deir el-Medineh. Cet archéologue méthodique et bien organisé l'incite à sonder une zone à priori improbable, un espace occupé par des huttes d'ouvriers. En désespoir de cause et parce qu'il faut bien ne laisser aucun détail au hasard, Carter ordonne in petto la destruction de ces cabanes : nous sommes au soir du 3 novembre 1922, la roue va tourner enfin dans le bon sens....
Et, chers lecteurs, roulement de tambours et envolée de trompettes, que se passe-t-il donc le lendemain, le 4 novembre ?
En cette belle matinée, en arrivant sur son chantier réduit au plus curieux des silences, Carter reçoit de plein fouet la concrétisation de tous ses efforts : une première marche, une seconde, puis une troisième· son coeur bat à tout rompre : aurait-il enfin atteint son but ? Quinze autres degrés se succèdent, les hommes émus et tremblants descendent cette volée de marches qui les conduit au coeur du mystère. Un grand mur leur fait face, il présente sur sa surface de nombreux sceaux et l·image altière d·Anubis les contemple. Que se cache-t-il derrière cette paroi ?
En attendant de le découvrir je vous propose de partager l·émotion de Carter qui s·empresse de contacter Lord Carnavon en ces termes un peu précipités :
"Avons enfin fait une découverte extraordinaire dans la Vallée : une tombe somptueuse dont les sceaux sont intacts ; l·avons refermée jusqu·à votre arrivée ; félicitations !"
Remis de ce choc, quelques jours plus tard, Carter précise :
"J'ai Toutankhamon et je le crois intact. L'ivresse s'était emparée de nous sans nous laisser un seul moment de réflexion, mais pour la première fois nous prenions conscience de nos responsabilités et de la tâche prodigieuse qui nous attendait. Ce n' était pas une découverte ordinaire, que l'on pût expédier en l'espace d'une saison. Il n'existait pas davantage de précédent qui nous indiquât comment procéder. L'entreprise dépassait le cadre de toute expérience passée, nous déroutait et, du moins en cet instant, elle était démesurée au regard de toute action humaine, quelle qu'elle fût."
Et maintenant, nous qui sommes enfin soulagés de cet heureux happy end, comme put l'être notre talentueux aventurier, il nous faut bien continuer notre voyage au cœur des ténèbres de la tombe, ténèbres qui vont se dissiper lentement pour laisser place à la plus belle des lumières qui soit : celle qui enflamma les yeux de Carter, la lumière de la victoire auréolée de poussière d'or !


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