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![]() ![]() Une foule d’esclaves affamés, courbés sous le fouet cruel du contremaître, le dos ensanglanté et meurtri, tirent de gigantesques morceaux de pierre : parfois l’un d’eux trébuche, tombe mais qu’importe, il ne faut pas ralentir le rythme, il sera impitoyablement écrasé sous le bloc qui le submerge. Au loin, les pyramides s’élèvent peu à peu, glorieuses et superbes mais elles ont un goût de sang et la mort qui leur est associée assombrit les degrés qui montent vers le ciel azuré. Cette vision dantesque, combien de fois a-t-on pu la voir sur nos écrans, filmée en Technicolor ! On parle aussi de coutumes terribles qui affirment qu’une fois le tombeau achevé, Pharaon ordonne la mise à mort des esclaves qui ont participé à sa construction et qui savent les secrets qu’elle abrite. Le seul destin qui les attend : être emmurés vivants dans la sépulture. Et bien sûr, toutes ces histoires ne sont… que des histoires mais elles ont alimenté des récits qui se veulent historiques et dont la véracité est à mettre en doute. Champollion, le moderne inventeur des hiéroglyphes a permis d’entrevoir quelque lumière : les écrits dévoilés par sa découverte ouvrent de nouvelles perspectives, celles d’un monde animé par des travailleurs consentants qui ouvrent avec ferveur les chemins d’éternité de leur Pharaon. Les récentes fouilles effectuées au pied des pyramides ont mis à jour des villages fort bien organisés et structurés qui mettent en évidence l'élaboration soignée d'une hiérarchie d'ouvriers libres et rémunérés en fonction de leurs tâches. Alors une question s’impose : comment et pourquoi ces idées sont-elles parvenues jusqu’à nous ? |
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![]() ![]() Si nous reprenons l’histoire depuis le début, il est possible d’affirmer que l’Egypte a toujours été une terre d’accueil dont les portes étaient largement ouvertes aux étrangers. Les immigrants y étaient bien acceptés et bien intégrés car ils fournissaient une main d’œuvre non négligeable aux grands travaux. Traités comme les citoyens égyptiens (de nombreux textes égyptiens sont là pour le prouver) dans la mesure où ils respectaient les lois égyptiennes, leur sort ne fut pas pire que celui des Egyptiens. Ce fut le cas d’Abraham dont la genèse dit qu’il y eut une grande famine dans le pays et qu’Abraham descendit en Egypte pour y séjourner car la famine pesait lourdement sur le pays. Effectivement, l’opulente Egypte du milieu du Moyen Empire put répondre à leur attente et être cette providentielle terre de réconfort. Mais le Double Pays connut les affres d’une nouvelle dislocation interne, l’histoire bégaie et c’est la Seconde période Intermédiaire qui voit les Hyksos envahir le pays. Les fils de Jacob Israël entrent en Egypte à ce moment pour y séjourner, selon la Bible, durant 430 ans. Joseph, fils de Jacob, venu de Canaan, entre alors en scène. Vendu par ses frères à des caravaniers se rendant en Egypte, il fait une belle carrière politique auprès d’un Pharaon bienveillant, peut-être le Pharaon Apophis. Poussée par la famine, la famille de Joseph arrive à son tour en Egypte pour acheter du blé : Joseph installe alors tout son clan sur la terre de Pharaon. Ce laps de temps nous mènerait jusqu’à la royauté de Ramsès II, période où l’on situe généralement l’épisode de l’Exode. Cependant, rien de bien précis dans les textes égyptiens ne nous permet véritablement d’y souscrire. Le texte biblique nous apprend que les Israélites furent obligés de fournir des briques pour les villes de Pi-Ramses et Pitom : "Puis Joseph mourut ainsi que tous ses frères et toute cette génération-là. Les fils d’Israël fructifièrent, pullulèrent, se multiplièrent et devinrent de plus en plus forts : le pays en était rempli. Alors un nouveau roi, qui n’avait pas connu Joseph, se leva et dit à son peuple : Voici que le peuple des fils d’Israël est trop nombreux et trop fort pour nous. Prenons donc des sages mesures contre lui, pour qu’il cesse de se multiplier. En cas de guerre, il se joindrait lui aussi à nos ennemis. Il se battrait contre nous et il sortirait du pays. On lui imposa donc des chefs de corvée, pour le réduire par des travaux forcés, et il bâtit pour pharaon des villes-entrepôts, Pitom et Ramses. » Extraits de l’Exode. Commence alors l’histoire de Moïse, personnage clé de l’Exode, d’origine sémite mais qui, selon les textes, serait né en Egypte et aurait été élevé à l’égyptienne, comme ce fut très souvent le cas pour de jeunes étrangers de haut rang, dans le cadre du kep. Suite à un grave incident de chantier et à bien d’autres péripéties, Moïse fait part à Pharaon, peut-être Ramsès II, de son désir de quitter l’Egypte. Pharaon voit d’un très mauvais œil cet exil qui le prive d’une importante main d’œuvre. S’en suit l’épisode des plaies d’Egypte qui s’abattent sur le pays et, enfin, le départ de Moïse et de son peuple. Mais pourquoi a-ton parlé d’oppression du peuple hébreu ? Un passage de la Bible cite : "Pourquoi Yahvé ne nous a-t-il pas fait mourir au pays d’Egypte, quand nous étions assis auprès de nos marmites de viande et que nous avions du pain autant que nous voulions ?" Ce n’est pas le cri de souffrance d’un peuple maltraité par celui qui les a accueillis, mais plutôt celui d’hommes et de femmes qui ne comprennent pas pourquoi il sont tenus de quitter soudainement un endroit où ils se sentent chez eux. En près de 430 ans de présence sur le territoire égyptien, les principales activités des Asiatiques, notamment du peuple de la Bible, étaient l’élevage et le commerce. Quand Pharaon mobilisa des énergies pour le chantier de Pi-Ramsès, travail demandé depuis des siècles au peuple égyptien lui-même, certains Asiatiques, moins bien intégrés, se sentirent-ils sûrement contraints et forcés, et par là-même, traités comme des esclaves. L’épisode tragique de l’Exode a donc bien participé à la légende d’un peuple réduit à l’esclavage par un souverain égyptien. |
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![]() ![]() Quand il arriva en terre d’Egypte, Hérodote recueillit les histoires, légendes ou inventions, des gens d’une nation dont les fastes n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Issu lui-même d’une société qui pratiquait couramment l’esclavage, il raisonnait selon ses propres critères et n’aurait jamais conçu que des ouvrages comme les pyramides ne fussent pas le résultat du travail de nombreux esclaves. De notre côté, il nous semble maintenant évident que ces gigantesques complexes funéraires, que ces temples disséminés à travers tout le pays furent les efforts de tout un peuple qui puisait son énergie dans l’amour et le respect qu’il portait à son roi. La construction d’un tombeau apparemment destiné à l’éternité royale représentait beaucoup plus pour le peuple égyptien qu’un simple monument : cette œuvre collective leur permettait, à des degrés différents, de se cristalliser dans l’éternel. Voir Extraits de Textes. De nos jours, les films à grand spectacle, péplums et autres super productions, se chargent de véhiculer et d’entretenir par l’image ces légendes sur l’esclavage. Les colossales constructions et le mystère qui les entoure promettent encore de beaux jours à ce genre d’élucubrations. Le nouvel engouement pour la civilisation égyptienne et les nombreuses émissions culturelles diffusées sur les chaînes de télévision et auxquelles participent d’éminents égyptologues arriveront, sûrement, à réhabiliter la véritable Egypte. Car, en effet, contrairement à bien d’autres pays de l’Antiquité, l’Egypte était une nation où les citoyens étaient libres. Les textes nous apprennent que tous les hommes étaient égaux devant l’autorité absolue, Pharaon. Certes, il est difficile de parler de société égalitaire car dès les premières dynasties, une distinction très nette se fit entre Pharaon d’une part et le reste de la population qui est alors considérée comme au service du roi. L’inégalité entre les diverses couches de la société est alors inévitable comme nous l’avons vu dans les pages précédentes. Cette apparente inégalité se fonde sur une réalité économique évidente : un pays comme l’Egypte n’aurait pu atteindre les sommets d’une brillante civilisation sans le contrôle centralisé des ressources et des travaux. Gestion de la production agricole confisquée par l’Etat sous forme de taxes afin d’être redistribuée, entretien des canaux d’irrigation, mise en place des grands chantiers royaux, protection militaire aux frontières, tout dépendait de l’unique autorité royale renforcée par une solide discipline de la part de tous les citoyens. |
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![]() ![]() Malgré toutes ces distinctions, chaque individu avait la possibilité de changer de statut et de faire carrière, la condition sine qua non étant celle de passer d’abord par les études de scribe. Ainsi voyons-nous Methen, contemporain du bon roi Snefrou qui, de scribe, parvint aux hautes charges de gouverneur et de juge. C’est parmi les nemehi, les faibles, que nous devons chercher les citoyens non libres dont le statut pourrait s’apparenter à celui d’esclave. Nous retrouvons ces hommes soumis à l’autorité d’un propriétaire qui dispose entièrement d'eux. Cette situation que l’on pourrait comparer à celle d’un esclave puisque le propriétaire pouvait à tout moment le louer, le vendre à une tierce personne était protégée par le fait que celui qui était soumis ne perdait pas les droits légaux qui étaient les siens à la naissance. Il est préférable alors de parler de servitude plutôt que d’esclavage : le serviteur pouvait, à tout moment, remonter les degrés de l’échelle sociale selon ses capacités, bien sûr, pouvait aussi épouser une personne de rang supérieur, conserver et transmettre ses propres biens. Sur les grands chantiers des pyramides, une main d’œuvre de masse était nécessaire. L’Etat recrutait donc des travailleurs spécialisés régulièrement payés et embauchés à l’année. Mais l’on faisait appel aussi à une main d’œuvre occasionnelle, sous forme de corvée, celle des paysans qui ne pouvaient travailler dans leurs champs en raison de la crue annuelle. Loin d’être considérée comme des esclaves, ils participaient à l’œuvre commune et étaient payés en nature. Une preuve incontestable fut apportée dans les années 1990-1991 par la découverte providentielle d’un site exceptionnel : dans la zone des grandes pyramides fut mis à jour le village des ouvriers de Guizeh ainsi que leur nécropole. De part les recherches effectuées, les indices trouvés sur le terrain, la structure même du village et de ses dépendances, archéologues et égyptologues purent établir que ces monuments furent érigés par des hommes libres et rémunérés par Pharaon. Soixante-neuf tombes furent déblayées des sables et gageons que bien d’autres tombes seront encore exhumées. Pour mesurer l’importance de cette découverte et ses conséquences, il faut bien avoir présent à l’esprit qu’à l’Ancien Empire l’accès à l’au-delà était un droit exclusivement réservé au souverain. Partager ce droit d’éternité auprès du roi par la simple présence d’une tombe côtoyant la pyramide royale était un privilège dont purent bénéficier, par concessions spéciales, certains artisans, sculpteurs, maçons, peintres. Tous les ouvriers qui ont uni leurs efforts et leur talents jouissaient d’un statut privilégié car ils étaient les artisans de ce qu’il y avait de plus sacré en Egypte, la demeure d’éternité de Pharaon. Pourquoi auraient-ils été traités comme des esclaves ? Pour mieux appréhender encore l’état d’esprit égyptien, rappelons leur attitude envers les étrangers : immigrants, ils était parfaitement intégrés au sein de la société et avaient la possibilité de s’établir pour faire carrière ; représentants des pays étrangers, ils étaient reconnus avec tout le respect dû à leur rang ; mercenaires, ils étaient enrôlés dans l’armée et bénéficiaient des mêmes droits que les soldats égyptiens ; prisonniers de guerre, ils jouissaient aussi d’une certaine liberté. Seuls restaient au bas de l’échelle sans aucun espoir de sort meilleur, les criminels ayant commis des délits graves et qui se trouvaient affectés aux travaux forcés. A la fin de la dynastie VI, l’Egypte amorce le premier déclin de son Histoire. L’autorité centrale s’affaiblit, les nomarques s’enhardissent à prendre quelque indépendance, les temples s’enrichissent et bénéficient d’importants privilèges octroyés par le roi, à la Cour, les courtisans abusent des richesses royales, la pénurie de grands travaux acculent les masses au chômage et à l’inactivité, il n’y a plus aucune cohésion, le chaos éclate. |
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![]() ![]() Là aussi des vestiges archéologiques, des documents nous permettent de mieux appréhender la mentalité des Egyptiens et de reconnaître leur respect vis-à-vis des travailleurs et leur souci de protéger les meilleures conditions de travail possibles. A Kahoun, dans le Fayoum, l’ancienne ville de Hoteo-Sanwsrit, créé par Sesostris II et bâtie pour accueillir les ouvriers des sépultures royales, a livré des logements destinés aux ouvriers, artisans, fonctionnaires. Amenemhat s’enorgueillit ainsi des conditions excellentes dans lesquelles il a conduit ses hommes jusqu’aux mines du wadi Hammamat : " Mes soldats sont revenus sans aucune perte, nous n’avons eu à déplorer aucune mort d’homme, pas un ne s’est perdu, aucun âne n’est mort, aucun ouvrier ne s’est affaibli " Sous le Moyen Empire, l’économie est florissante, les nomarques se révèlent d’habiles administrateurs, mais L’Histoire se répète encore, et, à la fin de cette période, troubles sociaux, désagrégation du pouvoir central ouvrent les portes de l’Egypte à l’invasion étrangère : c’est la Deuxième Période Intermédiaire |
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![]() ![]() Le statut des ouvriers reste inchangé, leurs droits sont les mêmes. Les deux preuves qu’il nous reste de cette époque sont les deux villages d’ouvriers, celui de Tell el-Amarna et celui de Deir el-Medineh. Voir Arts et Monuments, la description de ces deux villages. Ouvriers respectés, ils étaient hautement appréciés en raison même de la tâche qui était la leur : construire la demeure d’éternité de Pharaon. Ce statut exceptionnel n’excluait pas quelques dérapages liés au retard pris dans le versement des salaires, certains fonctionnaires peu scrupuleux n’hésitant pas à s’adonner à d’importants détournements de fonds. L’ouvrier égyptien n’avait alors qu’un seul recours : celui de se mettre en grève. Et ceci arriva plus d’une fois. Les ouvriers se couchaient, selon l’expression égyptienne, autrement dit, ils s’installaient dans la cour d’un temple attendant l’intervention des représentants royaux. Le langage était celui-ci : " Nous ne bougerons pas ! Nous ne reviendrons pas ! Dites-le à vos chefs réunis là-bas." Voir Extraits de Textes. Bien sûr, leur action paralysait le cours normal de l’activité du temple, la vie ne reprenant qu'une fois les négociations abouties. L’esclavage proprement dit, c’est-à-dire celui qui abolit complètement les droits légaux de l’individu n’a pas existé en Egypte ancienne. Une certaine forme de servitude qui prenait en compte la personne apparut sous l’Ancien Empire, condition qui dérapa sous le Nouvel Empire vers une certaine forme d’esclavage en raison de la montée de l’impérialisme : les esclaves étaient des prisonniers de guerre marqués du sceau de Pharaon qui en disposait en les donnant en récompense à des soldats égyptiens, à des temples ou à d’autres individus. Leur condition n’était cependant pas figée et pouvait évoluer vers un destin plus clément. A l’instar des masses paysannes égyptiennes, ces captifs pouvaient parfaitement, selon leurs mérites, intégrer la société égyptienne. ![]() |