"Le but ultime d'une histoire de la Civilisation serait de faire approcher l'âme de ceux qui l'ont créée,
le foyer ardent d'où ont jailli les créations sociales, littéraires, artistiques d'un monde qui,
bien que disparu depuis deux mille ans,
nous fascine encore par ses réussites et ses prestiges."

François Daumas

Tableau historique des Périodes égyptiennes
INTRODUCTION
Le terme pré-dynastique fait référence à la période qui précède l’histoire dynastique égyptienne débutant avec la dynastie I. Généralement, les rois régnant durant l’ère pré-dynastique sont référencés sous la dynastie zéro créée par les égyptologues pour y inclure les rois des temps les plus reculés.
Pour désigner cette période transitoire, certains historiens utilisent aussi la référence du Nagada III ou parlent de période protodynastique ou période préthinite, l’essentiel étant surtout de concevoir cette période transitoire comme celle d’une unification politique progressive de la Vallée aboutissant à l’Egypte dynastique des grands Pharaons.
Dans la page Néolithique, nous avons vu que la fin de cette période, le Nagada II ou gerzéen, se caractérise par une culture prospère et diversifiée où la puissance politique de quelques chefs tribus se consolide, notamment en Haute-Egypte à Hiéraconpolis. De grandes agglomérations apparaissent, toujours en Haute-Egypte telles Abydos, Coptos ou Nekheb. Elles sont dirigées par des chefs de villages qui tentent d’imposer progressivement leur autorité au-delà des enceintes villageoises. Ces tendances locales à s’étendre hors des villages sur un territoire plus spacieux préfigurent la mise en place des futures provinces égyptiennes ou nomes. La puissance démographique, politique et économique du site de Hiéraconpolis qui impose son pouvoir plus efficacement que les autres et dont les richesses, essentiellement agricoles, sont contrôlées par un petit nombre, va permettre à leurs responsables de devenir les premiers artisans de l’unification égyptienne.
Cette unification se fait progressivement dans la Vallée puis remonte vers le Nord pour atteindre enfin le Delta. Et l’on pourrait affirmer qu’une conquête du Nord par le Sud a bien eu lieu.
On a souvent considéré que l’Egypte fut unifiée par un roi guerrier du Sud, le roi Menes, à l’issue d’une bataille remportée par ses troupes et qui fit de lui le chef d’un nouveau royaume. Les avis des historiens qui s’appuient sur des données archéologiques récentes divergent quant à la présence effective de deux royaumes bien distincts, le royaume du Sud et le royaume du Nord, celui du Sud ayant conquis par les armes celui du Nord. Il vaudrait mieux comprendre l’unification comme une unité préparée longuement par des chefs locaux plus affirmés que leurs voisins et qui, prenant conscience des avantages politiques et économiques d’un rapprochement, étendront peu à peu leur domination sur d’autres chefs de région. Conquête militaire, certes, mais aussi conquête culturelle et économique. Malgré tout, il reste bien ancrée chez les anciens Egyptiens cette notion de dualisme qui apparaît dans le vocabulaire et les institutions : l’Egypte est bien le Double Royaume dont les nombreux symboles, les deux couronnes, la Rouge pour le Nord et la Blanche pour le Sud, les déesse tutélaires, Nekhbet pour le Sud et Ouadjet pour le Nord, les titres royaux de Celui qui appartient au roseau et à l’abeille, Celui qui appartient aux Deux Dames, les doubles structures administratives traduisent bien la bi-polarité des origines.
DYNASTIE 0
SCORPION (3025) – (3200)
Le roi Scorpion est l’un des premiers rois connus de cette période pré-dynastique. Les souvenirs archéologiques que ne nous a légués cette période reculée ne sont pas légion et proviennent essentiellement du site de Hiéraconpolis.
C’est en ce lieu qu’une tête de massue dont le principal acteur est Scorpion nous est parvenue. Le roi est coiffé de la couronne blanche de Haute-Egypte et accomplit, sans doute, des rites symboliques agraires. Cette représentation est hautement intéressante car elle place Pharaon dans le rôle essentiel qui est le sien, celui de premier agriculteur oeuvrant au dur labeur de sa terre. Ici, Pharaon affirme son pouvoir sur la terre, la terre agricole, source de richesses et de vie comme, plus tard, il l’assurera dans les représentations gravées sur les murs des monuments (voir Medinet Habou, le temple de Ramses III). Pharaon contrôle les forces agricoles, assure le bon déroulement des opérations agraires mais il est aussi responsable de la qualité et de la quantité des cultures. Son pouvoir est considérable, sa responsabilité ne l’est pas moins.
Sur cette massue apparaissent aussi les premières traces des futurs nomes stylisés par des porte-enseignes.
NARMER (vers 3000) – (vers 3100)
Narmer serait le successeur de Scorpion. Son règne se singularise par le fait qu’il est le premier roi à gouverner sur une Egypte apparemment en bonne voie d’unification puisqu’on le voit revêtir les deux couronnes symboliques.
Une fois encore, les documents proviennent du site de Hiéraconpolis. Ils sont au nombre de deux :
Le premier est une célèbre palette dite palette de Narmer en schiste vert. Objet votif destiné au culte d’Horus, dieu de Hiéraconpolis mais aussi objet usuel que les femmes utilisaient pour broyer les pigment des fards. Sa lecture est d’une aide précieuse pour la compréhension de la période étudiée.
La palette se lit sur ses deux faces. L’attribution d’un recto et d’un verso soulève de houleuses controverses dans les milieux égyptologiques. Je me contenterai de commencer par celle dont la lecture me semble être le début du récit historique :
Sur la première face, Narmer y est représenté coiffé de la couronne blanche du Sud. Triomphant, il brandit un bras conquérant tandis que, de son autre bras, il empoigne la chevelure de son prisonnier vaincu. Ce thème préfigure les thèmes récurrents que l’on retrouvera maintes et maintes fois dans l’iconographie royale : le roi abattant ses ennemis, image de son pouvoir absolu à maintenir l’ordre du monde. Les caractères physiques de l’homme à ses pieds sont ceux des peuplades du Delta. Les hanches du roi sont ceintes d’un simple pagne court agrémenté d’une queue taureau, symbole de la puissance royale. Face à lui, le faucon Horus, survolant un fourré de papyrus, symbole de Basse-Egypte, domine un ennemi de même race que le prisonnier royal dont il entoure la tête d’une cordelette. Le message pourrait être clair : domination du Sud sur le Nord ? La prudence s’impose.
Sur l’autre face, Narmer est désormais coiffé de la couronne rouge de Basse-Egypte, image de sa victoire précédente. Il tient dans ses mains les symboles du pouvoir royal, sceptre et flagellum. Derrière lui, un porteur de sandales, devant lui un homme vêtu d‘une peau de bête, prêtre ou vizir, et quatre porte-enseignes. Les extrémités de chaque enseigne supportent l’emblème du nome qu’elles représentent (chien, oiseau). Le cortège triomphant se dirige vers un groupe de prisonniers décapités, ligotés, leur tête placée entre les jambes. Dans le second registre, deux animaux chiens ou lions, dont les longs cous s’entrelacent délicatement, définissent le réservoir circulaire destiné à recevoir le fard. Dans l’ultime registre inférieur, une manifestation du taureau Apis, Pharaon sans doute, terrorise un ennemi foudroyé aux sabots de l’animal.
Les deux faces sont couronnées respectivement de la double image de la déesse Bat, antique Hathor, aux oreilles de vache enroulées sur elles-mêmes. Au milieu de chaque couple, le nom de Pharaon s’inscrit en hiéroglyphes dans le serekh, façade de palais royal : nar, le poisson et mer, le couteau.
Ainsi avons-nous sur ce document inestimable les prémisses de l’imagerie pharaonique : lecture sous forme de registres, position des personnages, rôle guerrier de Pharaon tout-puissant et vainqueur de ses ennemis mais rôle assurément protecteur de son peuple et garant de la stabilité du Double-Pays, message hiéroglyphique, etc
Une ré-interprétation récente de cet objet tend à infirmer une prétendue victoire du Sud sur le Nord. Certes le Nord a bien essuyé une défaite mais il faut peut-être deviner, au-delà d’une reddition supposée, le jeu plus subtil décrivant l’étendue protectrice d’un monarque garant de l’intégrité de la terre laissée en héritage par les dieux.
Le deuxième document laissé par Narmer est une tête de massue trouvée elle-aussi à Hiéraconpolis. On y voir Narmer coiffé de la couronne rouge de Basse-Egypte accueillir un personnage que certains historiens ont reconnu comme étant une femme, peut-être la future reine Neith-Hotep. Le roi est assis sur un trône protégé par un dais surmonté de la déesse vautour Nekhbet, déesse tutélaire de Haute-Egypte. Le roi reçoit, semble-t-il, une succession de prisonniers de guerre venus lui faire offrande de leurs présents. Il est bien possible que cette cérémonie célèbre le jubilé royal ou fête-sed.
Hiéraconpolis, principale ville de Haute-Egypte, point de départ du processus de l’unification égyptienne a permis aux archéologues de mette au jour de nombreux objets votifs ou rituels, essentiellement issus du temple archaïque dédié à Horus. Ces documents sont visibles à l’Ashmolean Museum d’Oxford pour la massue du roi Scorpion et la tête de massue du roi Narmer tandis que la palette à fard du roi Narmer est visible au musée du Caire.
Dans un magasin souterrain de la pyramide à degrés de Djeser, les fouilles ont permis de découvrir, entre autres objets, une jarre de porphyre gravée au nom de Narmer.







A l’issue de cette longue période préparatoire où tous les germes de la future Egypte sont sur le point d’éclore, la période dynastique peut commencer avec le digne successeur de Narmer, son fils Aha/Menes qui inaugure la Ière dynastie de l'ère thinite. 
Pour avoir des renseignements complémentaires sur la palette de Narmer, allez de ce pas faire une petite visite sur le site d'Egypte Eternelle. Dans la rubrique Papyrus, vous trouverez un excellent article de Sébastien Goupil (Quebec) alliant description, analyse et reproduction de l'objet. Bonne navigation !
http://www.egypteeternelle.net/

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