L’astre
solaire, perdu dans un océan de ciel bleu, écrasait toute vie de ses rayons
brûlants, imposant à une population impuissante et résignée une retraite prolongée
à l’ombre des maisons. Epiphi venait
à peine de s’achever et Mesore promettait
d’être long et accablant. Seul Râhotep osait braver les torrides ardeurs de
la saison chemou. Rapidement, la lumière
déclinait et, à cette heure du jour finissant, la chaleur tombait tandis que
le soleil s’engouffrait dans l’horizon occidental. Dans la torpeur du moment,
la fraîcheur délicate du crépuscule semblait accompagner les sombres pensées
du jeune homme. Là-bas, dans le village aux minuscules maisons de pisé et de
briques crues, son père, le sage Ineni se préparait au passage dans l’autre
monde. Le cœur au bord des larmes, le fils éploré contemplait le fleuve lui
aussi au bord de l’agonie. Paresseusement, le long serpent bleuté s’étirait
avec peine dans son lit de douleur. Coincé entre désert oriental et désert occidental,
le fleuve dieu s'écoulait lentement au rythme tortueux de ses méandres. Il semblait
épuisé car Seth le maudit avait répandu son haleine destructrice sur le Double
Pays. Les souffles suffocants avaient privé de ses richesses le fleuve nourricier.
Les paysans accablés priaient en silence, les bêtes déshydratées se résignaient
à une mort prochaine. Dans l’attente miraculeuse du vent du Nord, les hommes,
las et désespérés, guettaient la venue providentielle des larmes d’Isis.
La terre craquelée telle la peau du crocodile Sobek n’était que sécheresse et souffrance. Le temps semblait suspendu, le va-et-vient incessant des felouques aux larges voiles blanches semblait ralenti : le Nil, au désespoir, ne jouait plus le rôle vital qui était le sien. Le tirant d’eau trop faible et l’absence de vent bloquaient les navires dans les ports. Toute communication entre le Nord et le Sud s’avérait impossible. Les oiseaux dans l’azur aveuglant avaient renoncé à leurs vols joyeux. Seuls les faucons, images de l’Horus survolant le monde, uniques détenteurs du don de voler dans le soleil, dominaient cette terre défaillante. Qui allait remporter ce douloureux combat pour la vie : Hapy, le Bienfaisant ou Seth, le Rouge ? Le doute et la peur, inexorablement, s’installaient dans les esprits. La désolation de ce spectacle était à la mesure de l’affliction de Râhotep. Sous l’éclat rougeoyant du soleil couchant, son cœur désespéré saignait des tourments de la mort qui le touchaient. Ses grands yeux noirs s’étiraient en amande, brillants de larmes trop longtemps contenues. Les derniers rayons du soleil enlaçaient son jeune corps vigoureux d’un voile où les ultimes roses du jour se mêlaient au mauve de la nuit naissante. La masse luisante de ses cheveux d’ébène venait mourir sur ses épaules musclées tannées par le soleil. Soudain, il se sentit basculer... Un cri dans le lointain le fit émerger de son triste engourdissement. D’un coup de rein, il fut debout et se précipita vers le village. Sur le pas de porte de la petite maison au toit plat, sa mère brassait l’air du moulinet de ses bras. Elle accueillit son fils en ces termes : « Mon fils, ton père est au plus mal et je crains qu’il ne rejoigne prochainement le royaume d’Osiris. Va, il te demande auprès lui. »
Râhotep pénétra dans la chambrette. Dans leurs niches respectives, les statues de Toueris et Meskhenet, divinités protectrices de la maison, imperturbables, le contemplaient avec bienveillance. Le plafond curieusement bas de la salle de repos était percé d’un puits d’aération qui permettait à l’air frais de circuler, tandis qu’au travers d’étroites fentes judicieusement disposées, la lumière glissait jusqu’au sol sans laisser passer la chaleur. Chaque jour méticuleusement désinfectée à grand renfort d’eau claire mêlée de natron, la pièce offrait une impeccable propreté. Le poste privilégié qu’occupait le chef de famille permettait à la maîtresse de maison d’utiliser une fumigation efficace à base d’encens et de résine de térébinthe pour assainir l’air de la maison. De délicates senteurs de myrrhe s’insinuaient dans ce mélange ainsi agréablement parfumé. Le mobilier était sobre. Sur une table basse s’étalaient quelques feuilles de précieux papyrus ainsi que quelques fragments de calcaire noircis de signes hiéroglyphiques. Le seul meuble un peu plus imposant que les autres était une armoire calée contre le mur. Elle abritait les rouleaux de papyrus vierges, les manuscrits et tout le matériel nécessaire du scribe. Une serviette de cuir complétait l’ensemble. Deux chaises et un tabouret à trois pieds invitaient au repos. L’ensemble, agrémenté de la fraîcheur de quelques plantes au feuillage vert foncé, était simple mais apaisant. Au fond de la pièce, un homme était allongé sur un lit recouvert d’une natte de roseaux tressés. Un drap de lin recouvrait ses membres que l’on devinait émaciés.
Râhotep pénétra dans la chambrette. Dans leurs niches respectives, les statues de Toueris et Meskhenet, divinités protectrices de la maison, imperturbables, le contemplaient avec bienveillance. Le plafond curieusement bas de la salle de repos était percé d’un puits d’aération qui permettait à l’air frais de circuler, tandis qu’au travers d’étroites fentes judicieusement disposées, la lumière glissait jusqu’au sol sans laisser passer la chaleur. Chaque jour méticuleusement désinfectée à grand renfort d’eau claire mêlée de natron, la pièce offrait une impeccable propreté. Le poste privilégié qu’occupait le chef de famille permettait à la maîtresse de maison d’utiliser une fumigation efficace à base d’encens et de résine de térébinthe pour assainir l’air de la maison. De délicates senteurs de myrrhe s’insinuaient dans ce mélange ainsi agréablement parfumé. Le mobilier était sobre. Sur une table basse s’étalaient quelques feuilles de précieux papyrus ainsi que quelques fragments de calcaire noircis de signes hiéroglyphiques. Le seul meuble un peu plus imposant que les autres était une armoire calée contre le mur. Elle abritait les rouleaux de papyrus vierges, les manuscrits et tout le matériel nécessaire du scribe. Une serviette de cuir complétait l’ensemble. Deux chaises et un tabouret à trois pieds invitaient au repos. L’ensemble, agrémenté de la fraîcheur de quelques plantes au feuillage vert foncé, était simple mais apaisant. Au fond de la pièce, un homme était allongé sur un lit recouvert d’une natte de roseaux tressés. Un drap de lin recouvrait ses membres que l’on devinait émaciés. Râhotep se dirigea vers l’armoire et s’empara d’un parchemin et de sa palette. Il s’assit en tailleur au chevet de son père respectant ainsi la position séculaire du scribe au travail. Maintenant le rouleau de sa main gauche, il se saisit de son calame qu’il trempa délicatement dans l’encre noire. Levant les yeux vers son père, le dos droit, il attendit dans un équilibre parfait qu’Ineni dicte les premiers mots. D’une voix étrangement ferme, comme soutenue par l’importance de la tâche à accomplir, le sage commença son récit :
« Moi, le scribe Ineni, par la main de mon fils Râhotep, j’instruis la postérité et je parle pour l’éternité à venir. An 15, quatrième mois de chemou, le 20, sous la Majesté du roi de Haute et de Basse-Egypte Ousermaâtrê Meryamon, puisse-t-il vivre comme Rê à jamais ! Le jour où toi, mon fils, tu as noué la ceinture, je t’ai envoyé à l’école des scribes car j’avais de l’ambition pour toi. Tu as appris à lire et à écrire. Jeune apprenti, tu t’es exercé à tracer des signes sur des éclats de calcaire grossiers. Pour récompenser ton talent, ton maître t’a autorisé à dérouler sur tes genoux la belle feuille de papyrus. Inlassablement tu as recopié les textes classiques et ton esprit tout neuf a été empreint des maximes de la sagesse ancienne. Les contes et les récits, les poésies et les hymnes n’ont plus de secrets pour toi. Tu es devenu l’ami de la grammaire et tu dessines à la perfection les signes sacrés. Ton ardeur au travail t’a fait remarquer de tes précepteurs qui t’ont envoyé te parfaire dans la Grande Maison Royale. Je suis fier de toi et je loue tes compétences. Ecoute ma voix, mon fils, et que ta main soit fidèle et sûre. Ce qui va se dire est la grande histoire de ton pays, la prestigieuse Kemit.
Pour répondre à l’angoissante question de leur présence sur cette terre, pour expliquer le monde et la vie, les premiers hommes qui furent tes lointains ancêtres ont dû lancer les fondements d’un raisonnement mythologique où les images jouent un rôle essentiel. Ces mythes et légendes qui ont façonné notre histoire sont tout droit sortis de l’imagination et de la pensée de l’homme. Les peuples ont besoin de croire et ont besoin d’adorer des idoles. C’est pourquoi ils ont inventé les dieux. Ils leur ont inventé une histoire, une vie, un présent, un passé qui ressemblent étrangement aux nôtres et qui, d’une certaine manière, répondent à toutes nos questions existentielles. Ces dieux ne sont qu’illusion et pourtant nous leur avons construit de superbes demeures, des temples grandioses qui sont leurs maisons sur terre et qui sont la copie exacte de leur domaine céleste.
La technique qui a été élaborée pour abriter ces entités divines est un défi au temps et ces monuments d’éternité traverseront les âges. Conçus comme des appareils magiques d’espérance et de résurrection, la vie rituelle qui s’organise dans les temples rythme aussi la vie quotidienne de chaque égyptien. C’est qu’il faut entretenir l’image divine et lui offrir subsistance chaque jour. Savoir se concilier la faveur des dieux est un acte permanent de dévotion et de respect qui se traduit par des offrandes essentielles. De même, les rois anciens seront honorés par des cérémonies rituelles qui permettront à son ka de survivre dans l’autre monde. Les actes des hommes ne doivent pas dévier du chemin tracé lors de la création. Ainsi l’équilibre précaire entre la Maât, l’harmonie, et le désordre, Isefet sera préservé. A tout moment, le monde fixé une fois pour toutes aux origines par le démiurge peut retourner à son indistinction originelle par la faute des hommes. Cette dualité constante entre le bien et le mal est une conséquence de l’observation de notre planète Egypte. La lumière surgit après l’obscurité et l’obscurité fait suite à la lumière. L’équilibre parfait entre le jour et la nuit ne doit pas être rompu et les combats qui se livrent dans les profondeurs de la Douat opposant le soleil à Apophis sont terrifiants et incertains. De même notre survie dépend étroitement du retour de la grande crue annuelle du fleuve sacré. La fertilité amène la joie et l’abondance, la stérilité entraîne la mort et la disette. Dans les Maisons de Vie, les théologiens ont ainsi élaboré une pensée symbolique formée sur la conciliation des contraires dont la meilleure illustration est peut-être la cohabitation entre Osiris, le Bon, et Seth, le Mauvais, souverains de Basse et de Haute Egypte. Le grand Rê-Horakhty, à l’issue du combat qu’avait livré Horus contre son oncle Seth qui voulait lui ravir la fonction royale lui revenant de droit par son père Osiris, ce grand dieu donc, n’avait-il pas décider d’asseoir à ses côtés le vil personnage : Qu’on me confie Seth, fils de Nout. Il siégera avec moi, tel mon fils ; il tonnera dans le ciel et on aura peur de lui.
Sans aucun doute, fallait-il un être exceptionnel dont la mission sur terre serait de faire respecter la Maât, la vérité et l’ordre voulu par le démiurge. Placé sur le trône d’Egypte, Pharaon, fils de Rê est l’interlocuteur par excellence entre les dieux et les hommes. Fils charnel d’une divinité, Rê d’Héliopolis puis Amon de Thèbes, il est à la fois dieu et roi humain. Pharaon est le successeur du dieu créateur qui, lassé des querelles humaines, laissa en héritage à un humain élu par lui ou engendré selon le principe de la théogamie, le gouvernement terrestre dont il ne voulait plus. Grand Prêtre du dieu, chef de l’humanité, guerrier, architecte et bâtisseur, Pharaon gouverne l’Egypte en préservant l’union des Deux Terres. Souverain de l’univers entier, il doit aussi élargir les frontières et soumettre les peuples étrangers susceptibles d’engendrer le chaos et la perturbation. Ainsi, toute une lignée de souverains ont bâti l’Egypte des Pharaons insérant la civilisation égyptienne dans la marche du monde. Ces demi dieux ont laissé des traces tangibles de leur passage sur terre avant de rejoindre le ciel pour accompagner le soleil dans sa course divine. Certains ont laissé à la postérité une œuvre unique mais incroyable, tel Khéops et sa gigantesque pyramide de pierre. D’autres nous ont étonnés par leurs faits guerriers tel Thoutmosis III, l’infatigable conquérant. Amenhotep I est encore vénéré pour ses activités dans les temples. Ramses II n’a eu de cesse d’agrandir le temple de Karnak et de bâtir jusqu’aux confins de la Nubie. Et que dire d’Akhenaton, le Pharaon hérétique qui devra subir la vindicte de ses successeurs. Hatchepsout, notre reine Pharaon a laissé dans nos mémoires les vestiges d’un règne étonnant et pacifique. Cependant, dans son exercice du pouvoir, Pharaon n’est pas seul. Pharaon sera puissant et le pays prospère si l’organisation de la société et du pouvoir est judicieusement orchestrée. Le secret de la réussite réside dans l’élaboration d’une bureaucratie fortement hiérarchisée qui contrôlera infailliblement la nation de la première cataracte du Sud jusqu’au delta du Nord. Secondé en première instance par son vizir, Pharaon s’appuie sur un aréopage de fonctionnaires dont les rôles sont clairement définis.
Mais les plus merveilleux des outils inventés par l’homme et qui ont permis l’émergence d’une société digne de ce nom sont les hiéroglyphes sacrés. Très tôt, le pouvoir fut conscient du rôle capital joué par l’écriture et mit rapidement en place des structures où les scribes pouvaient se former à cet art majeur. Indices d’un développement important de l’administration, prolongements indispensables du pouvoir central, les Maîtres des Ecritures, les scribes sont devenus des personnages de l’Etat incontournables. Très fiers de leur profession, ils méprisent les autres corporations et incitent leurs élèves à éprouver les mêmes sentiments. C’est pourquoi, mon fils, prends la bonne mesure de ton métier et ne mésestime point les autres professions. Sans les artisans de la pierre, les pyramides qui se dressent à Guizeh n’auraient pas d’existence, et les sculpteurs n’auraient pu mettre au monde les statues divines et royales. Sans les courageux mineurs prospecteurs de pierres précieuses et d’or fabuleux, les lapidaires et joailliers n’auraient pu dessiné diadèmes, bagues, couronnes et autres bijoux qui flattent les plus hauts personnages. Le métier d’agriculteur est le pire de tous, certes, mais sans la peine des paysans dans les champs, qu’aurions nous pour remplir notre ventre ? La faucille est lourde sous la chaleur accablante et le dos courbé des hommes est l’image d'une patiente douleur à couper l’orge et le blé. Tandis que les femmes nettoient le grain, les scribes contrôleurs, assis en tailleur à l’ombre protectrice d’un sycomore, comptabilisent chaque effort et mesurent les grains au boisseau. Compare ton métier à celui de l’humble fellah, et ne sois pas présomptueux, tu peux être utile mais point nécessairement plus indispensable qu’un autre compatriote.
Plus tard, sous d’autres cieux, quand on parlera des Egyptiens anciens, que restera-t-il de leur passage dans ce monde ?
Certains esprits chagrins pourront regretter notre acharnement à vouloir bâtir pour nos dieux des demeures éternelles alors que nos propres maisons auront disparu. D’autres critiqueront l’attirance qui nous pousse à nous préoccuper très tôt de notre mort et de ses conséquences dans l’autre monde. On pourra s’interroger sur les raisons qui ont guidé un peuple vers un idéal commun, celui de la vie éternelle de son souverain pour le repos duquel il a édifié des tombeaux gigantesques alors que lui-même se contentait d’un simple trou dans le sable du désert ou, au mieux, d’un modeste mastaba. Quelques-uns s’offusqueront de nos momies revêtues de bandelettes ironisant sur cette tenue peut-être en vogue à la cour de Pharaon, tandis que d’autres stigmatiseront les chantiers de nos grands travaux par l’usage du fouet, des coups, des injures dégradantes et des châtiments les plus atroces. Nos dieux à tête d’animaux sembleront étranges et notre panthéon apparaîtra comme un fatras de dieux monstrueux, éloignés de toute considération humaine et douteux de vérité et d’efficacité. Et ils s’exclameront imbus de leur supériorité : autres temps, autres mœurs
.Cependant, un petit groupe d’individus se mettra en quête d’un monde disparu : des hommes neufs, rescapés d’une civilisation à son apogée technologique mais dont le déclin est inéluctable, fouilleront les sables du désert. Par leurs découvertes, ils nous permettront de vivre une seconde fois, prouvant ainsi à quel point notre civilisation est éternelle. Ils se poseront des questions auxquelles ils ne pourront peut-être jamais répondre. Leur logique ne sera pas la nôtre, car à vouloir découper le monde en tranches rationnelles, ils ne pourront nous rejoindre dans notre pensée. Notre rôle consiste à participer activement à la marche de l’univers et non à le dominer. Nous modelons nos actes et nos pensées sur les pulsations de la nature, nous l’écoutons, nous la copions, nous la craignons, nous tentons d’en tirer le meilleur profit par une juste maîtrise, mais jamais nous n’avons tenté de la dominer sous le couvert d’une prétendue supériorité. Notre religion n’est pas un dogme, notre vérité n’est pas unique. Notre pensée est en perpétuel mouvement et, chaque jour, dans nos actes les plus anodins, nous tentons de nous unir avec les forces créatrices qui animent ce monde.
Ces hommes qui ranimeront notre flamme seront nos nouveaux géniteurs et mettront au jour une connaissance qu’ils appelleront égyptologie. Souviens-toi, mon fils, dans ce monde rien n'est acquis et la conscience de cette incertitude doit guider nos actes: « Avant que le ciel n’existe, avant que la terre existe, avant que les hommes existent, avant que la mort n’existe, était le Noun. » Puis le dieu créateur se dissocia du Noun pour venir à l’existence et il créa le monde organisé. Mais les ténèbres et l’obscurité menacent à tout moment l’équilibre de la création. Je crains, qu’à l’aube d’un jour néfaste, ne s’abattent sur notre peuple les foudres du chaos originel. Les portes se refermeront sur notre civilisation et le monde finira d’exister. Le Noun recouvrira notre terre et nous retournerons dans l’Océan primordial des origines. Et nous attendrons l’heure nouvelle qui boulversera le néant et nous rendra la vie : « Je détruirai tout ce que j’ai créé ; ce pays reviendra à l’état de Noun, à l’état de flot, comme son premier état. Je suis ce qui restera, avec Osiris, quand je me serai transformé à nouveau en serpent, que les hommes ne peuvent pas connaître et que les dieux ne peuvent pas voir. »
Livres des morts, chapitre 175, discours d’Atoum sur la fin du monde
Pas une seule fois Râhotep n’avait levé les yeux de son ouvrage et sa main agile et sûre traçait les signes d’éternité dictés par son père. Cependant la voix paternelle se muait en un doux murmure qui annonçait l’ultime fin. Râhotep sentit derrière lui la présence de sa mère qui les avait rejoints. D’une petite boîte en fibre de palmier, elle retira quelques herbes séchées qu’elle mit à infuser dans une tasse d’eau tiédie. Râhotep posa son calame et, embrassant les mains fiévreuses de son père, dit d’une voix étranglée par les sanglots :
« Père, je suis fier de la confiance que tu m’as accordée et je jure, par tous les dieux d’Egypte, de ne jamais trahir ta pensée. Par Thot et Séchat qui guident ma plume, je serai le fidèle témoin de l’histoire de mon peuple et je garderai en mémoire les paroles du sage Amenemopé :
Début de l'enseignement pour ouvrir l'esprit, instruire l'ignorant et faire connaître tout ce qui existe.
Ce que Ptah a créé, ce que Thot a transcrit,
Le ciel avec tous ses éléments,
La terre et son contenu,
Ce que crachaient les montagnes,
Ce que charrient les flots,
Toute chose que Rê éclaire,
Tout ce qui poussa sur le dos de la terre."
Je n’ai pas été sourd à tes paroles sur la fonction de scribe. Je serai lucide et j’éloignerai de mes lèvres la prétention et l’orgueil qui sont les piliers de cet art. Je suis fier de ma condition mais si la maîtrise de l’écriture peut être une des clés de la réussite sociale, elle ne saurait être l’unique source de satisfaction pour l’individu. » Neferourê humecta de quelques gouttes du breuvage qu’elle avait préparé la bouche asséchée de son mari. Ineni remercia d’un doux regard son épouse attentionnée tandis qu’un étrange sourire se dessinait sur ses lèvres. Son visage s’éclaira d’une lumineuse sérénité et, fermant les yeux sur cette existence pour la dernière fois, il commença son long et périlleux voyage dans l’autre monde, le vrai monde, celui où la vie se traduit en éternité.
Râhotep reprit sa palette et son pinceau. Son cœur meurtri obéissait à la volonté paternelle.
Il allait devoir démontrer aux hommes, qu’en des temps reculés et bénis des dieux, la perfection était peut-être de ce monde et que ce précieux papyrus déroulé sous leurs yeux étonnés leur soufflerait ce que l’humanité avait perdu.